Attaque terroriste du lycée d'Arras : pour Jean Viard, "les enseignants sont devenus des combattants, alors qu'ils n'avaient pas forcément choisi ce métier pour ça"
Une attaque au couteau dans le lycée d'une cité scolaire d'Arras a fait un mort et trois blessés, vendredi 13 octobre. Un ancien élève de l'établissement, fiché S, âgé de 20 ans a poignardé deux professeurs et un agent technique vers 11 heures. L'homme mort est un enseignant de 57 ans, un professeur de français au collège.
Le principal suspect, a été placé en garde à vue, il s'agit d'un Tchétchène né en Russie. Une attaque au couteau qui intervient trois ans, presque jour pour jour, après l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire tué, lui aussi, par un islamiste.
franceinfo : Jean Viard, c'est une nouvelle fois ce symbole de la République, l'école, qui est attaquée ?
Jean Viard : Oui, l'école, la République, et puis sans doute aussi, une forme de solidarité avec le Hamas, qui fait qu'on est à nouveau dans un cycle de violences, de massacres. Celui qui a été commis, bien sûr en Israël par les militants du Hamas, et puis celui qui est commis par ce jeune, contre un enseignant. Tout ça, ça va ensemble. Dans une époque où, au fond, on avait un peu oublié le terrorisme et les attentats, il y avait eu une période un peu de calme.
Là, on est reparti dans une séquence qui va être terrible. Parce qu'évidemment, quand il y a des centaines de victimes en Israël – il y a déjà une riposte d'Israël – on entre dans une espèce d'immense spirale de violence. Forcément, les gens chez nous qui sont des fanatiques religieux, vont peut-être se dire : c'est le moment d'agir, et notamment contre les enseignants, parce qu'il y a eu beaucoup de demandes dans les écoles.
La guerre entre Israël et les Palestiniens, pour les jeunes d'aujourd'hui, c'est le Moyen-Age, c'était il y a 70 ans. Donc c'est normal qu'ils aient des questions, qu'ils demandent pourquoi ça continue, pourquoi c'est toujours comme ça, de quoi on discute, et justement on discute de rien d'ailleurs. Donc c'est un peu ça le fond de ce drame, et du drame évidemment d'Arras, qui est épouvantable pour la communauté enseignante, qui a déjà été touchée. Enseignant, c'était un métier j'allais dire, paisible, mais on sait que ce n'est plus le cas.
Un mouvement d'émotion immense, depuis hier, il y a eu ces mairies illuminées en bleu, blanc, rouge. Rassemblements de profs aussi, qui portent un brassard noir. Ils ont, vous le disiez, cette tâche très difficile aujourd'hui, d'expliquer l'histoire, les conflits en cours, l'histoire en direct presque, faisant parfois face à de la défiance ou à de l'intolérance ?
Oui, mais parce qu'on n'a pas tous la même mémoire. Il y a à peu près 15%, peut être un peu plus, de Français qui sont des enfants nés dans des anciennes colonies. Il y en a pour qui l'indépendance a été une victoire, et d'autres pour qui elle a été une défaite. Et là, dans l'affaire qui nous concerne, même des gens, à la limite, qui sont scandalisés par le terrorisme du Hamas, peuvent tout à fait soutenir la cause palestinienne, en considérant effectivement que depuis 70 ans, il y a des gens qui vivent dans des conditions inadmissibles.
Moi, j'étais l'éditeur du curé de la paroisse de Gaza, le père Moussallem, parce qu'il y avait une communauté catholique à Gaza – il y avait 7000 chrétiens à Gaza, il n'en reste plus que 1000 – donc il faut faire attention, ce n'est pas une guerre de religions, c'est une guerre de territoires. Et d'ailleurs le curé de Gaza était un des cadres de l'OLP. Donc, ne donnons pas raison au Hamas en disant que c'est une guerre de religion. Effectivement, c'est une guerre. Le Hamas est un parti religieux, qui a pris le pouvoir à Gaza, parce que les autres forces se sont affaiblies ou ont disparu – ou qu'ils les ont assassinées d'ailleurs – mais ce n'est pas une guerre de religions, c'est une guerre de territoires, et c'est important de le remettre dans cette perspective.
Et pour en revenir à la question du rôle des enseignants de la place des enseignants en France aujourd'hui, comment est-ce qu'on peut parler de ces sujets ? Le conflit au Proche-Orient, mais aussi toutes les questions religieuses liées aux différents attentats que la France a connus ces dix dernières années ? Comment expliquer cela à tout le monde et de manière sereine ?
C'est très compliqué parce que même dans les classes, il y a des jeunes ou des enfants qui ne sont pas du tout du même avis. Parce que chez eux, quand ils rentrent le soir, il y a des parents qui disent : Ah quand même, enfin les Palestiniens se bougent. Et puis d'autres qui disent non quand même. Parce que regardez, le Conseil français du culte musulman, la Fédération musulmane de France, ont dénoncé l'attentat d'Arras. C'est pour ça que j'insiste sur le fait que ce n'est pas une guerre de religion parce que sinon, on ne s'en sort pas.
Et les enseignants, ils ont un travail extrêmement difficile. Quand vous pensez qu'il y a des gens qui pensent que la terre est plate aujourd'hui, il y a des gens qui n'acceptent pas effectivement le darwinisme. Donc on est dans une époque où il y a des obscurantismes qui remontent dans les sociétés. On ne peut pas revenir aux sociétés anciennes, où effectivement c'étaient les religions qui structuraient l'imaginaire, et donc la bataille, elle sera là, et les enseignants sont devenus des combattants, alors qu'ils n'avaient pas forcément choisi ce métier pour ça.
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