Aider les aidants : "Ça serait normal qu'il y ait une compensation par rapport à la capacité à travailler 'perdue' et que ça compte pour leurs calculs de retraite", estime Jean Viard
9 300 000 aidants en France. Prend-on vraiment en compte leur quotidien dans notre pays ? C'est la question du jour puisque le ministère de la Santé vient de publier ses chiffres, cette semaine. Près de 6 millions de Français apportent une aide à la vie quotidienne d'une personne âgée, ou d'un proche handicapé. Plus encore, disent apporter un soutien moral. Et 1 300 000 personnes disent apporter une aide financière. Et donc souvent, il y a un cumul dans ces aides aux personnes. Décryptage de cette question de société avec le sociologue Jean Viard.
franceinfo : Comment expliquez-vous ces chiffres, assez impressionnants ?
Ce dont on est en train de parler, c'est des rapports intrafamiliaux, c'est-à-dire que pour l'essentiel, ce sont des rapports entre générations. Et puis, ce sont des rapports avec les plus fragiles de la famille, un handicapé, et cetera. Je crois qu'il faut faire attention, parce que quelque part, quand on s'occupe de ses petits-enfants, personne ne dit qu'il est "aidant". Mais quand on s'occupe de ses vieux parents, on devient "aidant". Donc, il faut faire attention, c'est aussi notre image, au fond, que les personnes âgées doivent être mises à l'écart et qu'au fond, aller s'en occuper, on fait un peu le boulot que devrait faire un EHPAD.
Mais parce que ça implique des tâches peut-être plus chronophages, contraignantes, des moyens financiers, etc. ?
C'est pour ça qu'il faut séparer, à mon avis, ce qui est du soutien psychologique, etc, et puis je veux dire, on n'est pas là pour être les infirmiers de nos parents, pour parler simplement, ce sont des boulots de professionnels, pour mettre une certaine distance entre les corps. Ce qui peut très bien se comprendre. Je pense qu'après la pandémie, il y a eu toute une réflexion sur le rapport entre les générations, y compris dans les milieux populaires, et y compris dans l'espace.
Prenons un exemple simple, si vous habitez dans un HLM, est-ce qu'il ne serait pas très légitime que vos parents ou vos vieux parents puissent aller habiter dans le même bâtiment ? Est-ce que, quand on nomme un fonctionnaire, on ne pourrait pas lui dire : attendez, où sont vos vieux parents ? On ne va pas vous nommer à Lille, si vos parents sont à Cherbourg.
Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir une pensée géographique de la solidarité ? Parce que bien souvent, pour les personnes âgées, vous avez besoin de passer dix minutes tous les jours, vous amenez le journal, le pain, 'bonjour maman, comment tu vas, tiens, y a une ampoule cassée', et cetera. Ce sont des choses simples au fond, qui cassent la monotonie et l'isolement.
Une autre pensée, c'est aussi de construire un vrai statut des aidants, plus complet qu'il n'est aujourd'hui. Depuis trois ans maintenant, certains peuvent bénéficier de congés indemnisés. Dans le cadre de la réforme des retraites 2023, le gouvernement prévoit aussi d'instaurer une assurance-vieillesse des aidants, pour renforcer ce qui existe déjà.
Vous, ce que vous nous avez dit, c'est que pour l'instant, on n'en fait pas assez pour les aidants en France ?
Oui, absolument. Il faut avoir une vraie réflexion pour aider les aidants, dans les situations qui sont de l'ordre de l'exceptionnel. Après, la solidarité entre générations qui est de l'ordre de l'ordinaire, il faut essayer de la régler beaucoup plus sur des problèmes de proximité géographique. Donc, il y a les deux. Et c'est vrai que s'occuper d'un enfant handicapé, s'occuper de très, très vieux parents, qui sont un peu en train de perdre la tête, et cetera, ça prend du temps, ça prend de l'énergie, de l'amour.
Et ça empêche souvent de travailler quand on est un actif ?
Et justement, donc là, c'est normal qu'il y ait une compensation, par rapport à la capacité à travailler "perdue", un peu comme des jeunes parents qui s'occupent d'un enfant. C'est normal qu'effectivement ça compte pour leurs calculs de retraite. Ça serait, en tout cas, normal.
Quand on regarde de plus près les chiffres publiés cette semaine, par le ministère de la Santé, on constate que c'est autour de l'âge de 60 ans qu'on trouve le plus d'aidants dans la population française. Près d'un Français sur quatre est concerné. Beaucoup de jeunes retraités sont donc des aidants.
Est-ce que c'est une donnée, une variable, à prendre en compte dans la réflexion en cours sur la réforme des retraites ?
Il faut prendre en compte le fait que les retraités, c'est la génération démocratique et solidaire, parce que les jeunes retraités, ce sont les élus locaux, les responsables d'associations, ce sont eux qui aident leurs enfants adultes à s'occuper de leurs petits-enfants, qui s'occupent aussi des personnes âgées. C'est un groupe humain qui est très utile, qui est au fond rémunéré par la retraite, mais qui est actif. On fait une différence entre travail et non travail, mais quelque part, ce sont des contraintes comme le travail.
Il faut dire qu'on a une génération démocratique. C'est d'ailleurs elle qui vote le plus, et effectivement, c'est elle qui tient la société. Parce qu'elle tient l'aide aux jeunes couples, elle tient l'aide aux vieilles personnes, et elle tient largement le territoire démocratique. Il faut chanter ce rôle démocratique et solidaire des retraités parce que je pense qu'on les considère toujours comme une charge et pas assez comme une force.
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