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Terra Nova réinvente le collège unique

En cas de remaniement dans quelques semaines, le futur – ou la future - ministre de l'Education nationale trouverait sur son bureau un projet de réforme déjà ficelé, et beaucoup plus ambitieux que l'actuelle " refondation " lancée par Vincent Peillon. Il a été conçu par le think tank Terra Nova.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
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Un think tank de gauche,
proche du parti socialiste, mais qui n'hésite pas, en creux, à adresser une véritable
volée de bois vert au gouvernement, dans un document incisif et lucide de 26
pages intitulé " Pour
une école commune, du cours préparatoire à la troisième
 "

Il
s'agit avant tout de réformer le collège...

Oui. Terra Nova revient
longuement sur l'échec du collège unique, rappelant qu'en fait ce dernier n'a
jamais existé. Selon lui, on a en fait caqué le fonctionnement du collège sur
celui du lycée, au lieu de prolonger le fonctionnement du primaire jusqu'à la
fin de la troisième. Il dénonce, je cite " d'une part une ségrégation sociale et
ethnique croissante entre les établissements, récemment accentuée par
l'assouplissement de la carte scolaire ; d'autre part la triple rupture
cognitive, pédagogique et éducative que représente le passage de l'école
primaire au collège et le fonctionnement particulièrement inégalitaire de ce
dernier ".

Qu'entend-il par  " triple rupture cognitive, pédagogique
et éducative " ?

La
rupture cognitive désigne le fait que les programmes ne sont pas conçus, comme
au primaire en fonction des possibilités des enfants et des exigences du niveau
supérieur – en l'occurrence la classe de sixième – mais uniquement en fonction
des exigences du niveau d'après. " Ainsi
le programme de mathématiques de Terminale S, écrit Terra Nova , est celui que
devront avoir bien assimilé les élèves jugés capables de suivre une classe préparatoire
scientifique ; et ceux de Troisième sont conçus pour l'entrée en Seconde de lycée
général et technologique, et tendent donc à laisser de côté les 40 % d'élèves
orientés vers l'enseignement professionnel ". En clair, ce sont des
programmes exclusivement conçus pour les très bons élèves. Les ruptures pédagogique
et éducative décrivent les différences d'approche entre le primaire et le collège
aussi bien quant au découpage des disciplines qu'en matière d'évaluation.

Que
propose Terra Nova ?

D'appliquer enfin la réforme
de 2005, qui instaurait un " socle commun de connaissances et de compétences ",
réforme dont les programmes et les pratiques n'ont jamais réellement tenu
compte. Cela implique que les contenus ne soient plus définis en termes de
normes pour les enseignants mais de standards pour les élèves, que l'on évalue
les compétences et pas seulement les connaissances, enfin qu'on sorte du seul
système des notes pour évaluer les acquis de manière plus progressive.

Pourquoi
cette réforme n'a-t-elle pas été appliquée ?

Pour la même raison, selon
Terra Nova, que le collège unique n'a jamais été mis en œuvre dans l'esprit que
ses promoteurs souhaitaient : cette approche rencontre de fortes
oppositions, notamment celles du Snes FSU, le syndicat majoritaire dans le
secondaire, celle des lobbies disciplinaires qui défendent une approche calquée
sur celle des classes préparatoires et du lycée, enfin celle des élites
intellectuelles et sociales produites par les anciens lycées.

Si
Terra Nova a raison, comment vaincre ces obstacles ?

Le think tank déploie
plusieurs arguments. Le plus frappant est sans aucun doute financier : il
chiffre l'échec produit par le système actuel à 24 milliards d'euros par
an ! Réformer est donc une exigence économique, a fortiori en contexte de
crise. Un deuxième argument touche à la cohésion sociale : cette école
unique du CP à la troisième serait plus juste. Terra Nova fonde sa conviction
sur les résultats des évaluations internationales, qui montrent que les pays où
on ne rencontre pas cette coupure entre primaire et collège réussissent mieux à
compenser les inégalités. Un troisième touche au coût relativement faible de la
réforme : quatre milliards d'euros pour former les enseignants à de meilleurs
façons de faire ; c'est peu comparé aux 24 milliards qu'on dépense
aujourd'hui pour financer les conséquences de l'échec scolaire.

En
dehors des obstacles syndicaux, pourquoi ne pas réformer en ce sens ?

Trois raisons
essentielles. La première, dont Terra Nova convient, c'est que le système
actuel a de nombreux partisans. Il ne va pas de soi que tout le monde veut
d'une école plus égalitaire, il ne va pas de soi que les gens pensent que l'école
serait plus égalitaire si on abandonnait le système actuel, qui permet de trier
et de sélectionner ; il n'y a pas d'unanimité là-dessus. En outre peu de
personnes croient que "concentrer les efforts sur les plus faibles
conduit au progrès de tous et à la promotion d'une élite plus fournie ",
comme Terra Nova l'avance à l'appui de plusieurs études internationales. Deuxième
raison : le clivage n'est pas droite-gauche – vous avez des partisans d'une
telle réforme sur les deux bords de l'échiquier politique, et donc des
opposants de part et d'autre. Troisième raison, qui découle des deux précédentes :
vu la puissance des oppositions, il semble assez irréaliste de mettre en œuvre
ce projet sans un mandat électoral extrêmement net et explicite. Or François
Hollande n'a pas soumis ce projet aux Français en 2012. Raison pour
laquelle, probablement,  l'actuelle "refondation"
de l'école, issue de la loi Peillon ne s'aventure pas résolument dans cette direction. Rien
ne dit d'ailleurs d'un nouveau ou une nouvelle ministre pourrait faire
autrement.

 

 

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