Spécial Innovation. Les enseignants, stars de la cinquième édition du WISE
Les enseignants objets de
toutes les attentions, autour de deux questions complémentaires et amusantes. La première : que se passerait-il si un super prof finlandais
enseignait dans votre école ? Sous-entendu
serait-elle meilleure- on rappelle que la Finlande caracole en tête des évaluations internationales du
niveau des élèves. Seconde question, en apparence contradictoire et
volontairement polémique : pourrait-on se passer
des enseignants ?
Commen ç ons
par la premi è re. Elle revient
à
se demander si, comme on le dit souvent, les bons profs font les bons é l è ves ?
C'est effectivement l'idée dominante, y compris en France, où le débat a été très vif autour de la suppression puis du rétablissement de la formation initiale des enseignants, avec
la naissance des Espé, les nouvelles Écoles supérieures du professorat et de
l'éducation. Et la réponse, c'est que ça ne suffit pas. Elle a été argumentée par le finlandais Pasi Sahlberg. Il a analysé les résultats non seulement de la
Finlande mais d'autres pays du Top 5 du classement Pisa, ce classement réalisé par l'OCDE sur le niveau des élèves âges de quinze ans dans le monde - Corée du Sud, Canada ou Singapour.
Et quand on
analyse les r é sultats, on voit
que la qualit é des enseignants
n'explique pas tout
C'est une condition nécessaire mais pas suffisante. Pasi Sahlberg l'explique par
l'absurde puis par une métaphore sportive. Par
l'absurde d'abord. Il propose d'échanger les professeurs
finlandais avec les professeurs de votre pays - disons donc du notre, la
France. Les choses changeraient-elles significativement ? Probablement pas
dit-il. D'où la métaphore sportive :
considérer que la seule valeur des
professeurs explique la réussite d'un système, c'est un peu comme imaginer qu'il suffit d'embaucher
les meilleures individualités dans une équipe de football pour que cette équipe gagne. Ça arrive, dit-il, mais à condition d'ajouter trois ingrédients : un coach, une philosophie et ce qu'il appelle une
attitude. Avec ces trois ingrédients d'ailleurs, on peut même faire gagner une équipe formée d'individualités moins performantes prises
une par une, mais plus performantes collectivement - la mythologie du foot se
repaît d'ailleurs de tels
exemples.
Si on repasse du
football à la salle de
classe, le coach c'est le chef d' é tablissement ?
Oui. Il faut qu'il ait
suffisamment d'autorité - et pas seulement de
charisme personnel - pour pouvoir organiser le travail, motiver ses troupes, décider aussi de l'organisation la plus pertinente pour résoudre les problèmes qui se posent dans son établissement. Ça passe par le partage d'une
philosophie commune. Elle peut être très différente selon les pays - la Corée du sud est très compétitive, la Finlande est très coopérative. Mais l'important est qu'elle soit claire et partagée.
Ce qui n'est pas
forc é ment
le cas en France...
Absolument. L'exemple extrême étant celui du collège qui a à la fois la fonction de donner
à tous les élèves un socle commun de connaissance et de compétences, ça appelle une logique de coopération, mais qui en même temps est censé trier les élèves pour la suite, et qui le fait sur des critères liés aux connaissances bien plus
qu'aux compétences, on est là dans une logique de compétition. Il y a donc. une sorte
d'injonction paradoxale où tout le monde sait bien que
la réalité ne correspond pas au discours - c'est "l'hypocrisie
scolaire" pour reprendre le titre d'un essai des sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat.
Un coach, une
philosophie et donc une attitude. À quoi cela
correspond-il ?
Ça peut se résumer en "regard porté sur l'enfant" mais ça renvoie aussi à cette conscience de faire équipe avec l'ensemble de la
communauté éducative, les autres professeurs mais aussi les autres
personnels. Donc travailler ensemble.
Cl é
du succ è s donc, des
enseignants bien form é s mais aussi un
environnement qui leur permet de travailler dans de bonnes conditions. Mais
a-t-on toujours autant besoin des enseignants ? - c' é tait
la seconde question de la matin é e ?
Elle se pose évidemment avec l'avènement du numérique en général et celui des Moocs en particulier, ces cours délivres en vidéo par internet, gratuitement,
et normalement assortis d'exercices d'évaluation pour vérifier que tout le monde a bien suivi et compris. Elle se
pose aussi à travers les nombreuses expérimentations menées autour de l'apprentissage
mutuel - en gros la capacité des élèves à s'entraider et donc, dans une certaine mesure, à se passer de professeurs, au moins pour certains
apprentissages.
Question
provocatrice disiez-vous. Et la r é ponse est l à
aussi qu'on aura toujours besoin des enseignants.
Oui, mais peut-être d'enseignants qui travaillent différemment, plus dans une logique de guidage,
d'accompagnement, de personnalisation, que dans une logique frontale - le cours
classique où le prof parle et où les élèves écrivent. Il faut bien voir que
la question n'est pas de pure forme dans les pays pauvres. Ils ont du mal à recruter des professeurs aussi bien au plan quantitatif
qu'au plan qualitatif. On est parfois dans la situation où l'enseignant lit une page du manuel le soir pour la dicter
aux élèves telle quelle le lendemain matin - son apport n'est pas évident.
Pour autant les
machines ne vont pas remplacer les enseignants.
Pas de sitôt. En revanche leur potentiel est très loin d'être utilisé à plein rendement. Elles
permettent de gagner du temps et au passage de l'énergie sur tous les
apprentissages mécaniques, tout ce qui relève strictement du par cœur ou de la répétition - par exemple les
tables de multiplication et d'ailleurs une exposition, ici, à Wise, intitulée Play, présente des applications sur tablettes qui le font de manière ludique et parfois belle. Elles permettent aussi de décoder de mieux en mieux nos façons d'apprendre : on va enregistrer vos actions et en tirer
des enseignements, ce qu'un être humain ne peut pas faire a
fortiori avec des dizaines d'élèves. Mais ici comme dans la Silicon Valley, les acteurs du
numérique sont les premiers à dire que les enseignants ne seront pas remplacés par des logiciels. Pour la simple raison, et on rejoint là notre premier sujet, pour la simple raison que ce sont les
enseignants qui portent les valeurs, le projet, le sens même de ce qui se passe à l'école, de ce qui donne envie d'apprendre.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.