Les copains d'abord, ou comment lutter contre l'échec au lycée sans dépenser un euro
Deux chercheurs de l'Ecole d'économie
de Paris, Son Thierry Ly et Arnaud Riegert. Leur hypothèse de travail s'appuie
sur des recherches antérieures ; elles ont établi que le fait de garder les
mêmes camarades de classe d'une année sur l'autre favorise la réussite notamment
lors des étapes importantes que sont les transition école-collège et
collège-lycée – cette dernière étape étant même stratégique puisque les élèves
dépassent à ce moment-là l'âge où la scolarité est obligatoire, ce qui signifie
qu'en cas d'échec ils peuvent décrocher et quitter le système éducatif.
Et c'est à
cette transition entre la troisième et la seconde que se sont intéressés nos
deux économistes.
Donc si je
suis en seconde et que j'ai dix anciens camarades de troisième, mon risque de
redoubler diminue de 10%...
Exactement. Et en prime votre
résultat au bac augmente.
Et ça marche
avec tous les élèves ?
Non. C'est une moyenne. Si vous êtes
bon élève, vous profiterez moins de la proximité de vos anciens camarades. Mais
c'est là que l'étude offre une piste extrêmement intéressante : les effets
les plus bénéfiques se constatent chez les élèves les plus fragiles
scolairement et les plus démunis économiquement et socialement. C'est donc un véritable
instrument de lutte contre les inégalités. Et ça marche aussi pour les
inégalités filles-garçons – ces derniers profitent plus des effets positifs d'une
telle démarche.
Comment les
économistes expliquent-ils l'importance de ce levier de réussite ?
Par une combinaison de facteurs, dont
les auteurs admettent qu'ils ne sont pas évidents à détricoter : vous pouvez
vous retrouver en seconde avec un élève qui était dans votre classe en
troisième mais qui n'était pas votre ami, voire avec lequel vous étiez en
mauvais termes. Ce qui se dégage tout de même : l'entrée en seconde correspond
à une rupture importante au niveau scolaire. Premier élément : cela permet
d'éviter que l'élève dépense trop d'énergie à reconstruire un réseau amical, au
détriment du travail scolaire. Ce n'est pas seulement une question de temps, c'est
surtout une question de mobilisation mentale, de sécurité psychologique –
il est plus simple d'aborder quelqu'un qu'on connaît, plus simple de s'asseoir
à côté de lui ou à côté d'elle. Deuxième élément : il est plus facile de
se tourner vers quelqu'un qu'on connaît déjà pour demander de l'aide ou une
explication ; idem pour constituer des groupes de travail, pour s'entraider.
Les
chercheurs ont examiné le parcours de 28.000 élèves : combien d'entre eux
ont retrouvé leurs camarades de collège une fois entrés au lycée ?
En moyenne, ils retrouvent 20% de
leurs camarades dans le même lycée, et 5% seulement dans la même classe. Considérant
que c'est une moyenne, cela signifie qu'un élève de seconde commence ses années
lycée avec 80 à 95% de camarades de classe qui lui sont inconnus. C'est énorme.
Favoriser le maintien en classe de seconde d'élèves qui étaient ensemble en
troisième aurait même, selon les auteurs de l'études, un effet plus positif sur
les résultats que de diminuer la taille des classes, mesure qui par ailleurs
coûte cher.
Et pour les enseignants ?
Eh bien dans le meilleur des cas,
ils passeraient moins de temps à donner de la cohérence à ce qu'on appelle le " groupe
classe ", et cela leur permettrait plus facilement et plus rapidement de
développer des méthodes d'enseignement qui font appel à la coopération entre
élèves. Cela donne plus de dynamique.
Y a-t-il des
pays qui sont attentifs à l'importance de ce phénomène ?
Il y a un exemple connu, celui de la
Finlande, où les élèves ne redoublent pas et où le groupe classe reste le même
pendant plusieurs années. Les enseignants eux-mêmes, en tout cas pendant la
scolarité obligatoire, suivent la même classe pendant trois ou quatre ans.
Et on
connaît les résultats de la Finlande dans les évaluations internationales...
Oui. Même si elle a été dépassée par
les pays asiatiques, elle reste un exemple quant à sa capacité à la fois à
atteindre un excellent niveau général et à limiter les inégalités.
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