Horizon 2020, bouffée d'oxygène pour les universités ?
C'est ce qui a été rappelé hier lors d'une journée dédiée
à l'accueil des nouveaux directeurs et directrices d'UMR, les Unités mixtes de
recherche – c'est l'entité de base de la recherche française, elle réunit
universités et centres de recherche comme le CNRS. L'enjeu est de taille :
la France présente un déficit de 600 millions d'euros si on compare les sommes
qu'elle verse au titre des programmes de recherche de l'Union européenne et les
sommes qui vont à des projets de recherche français – c'est l'équivalent du
budget de l'Agence nationale de la recherche. C'est donc très vertueux, on aide
des pays qui ont moins de moyens, mais c'est aussi un peu décevant. L'idée est de faire mieux dans le cadre de Horizon 2020.
D'autant plus décevant
que la recherche française est d'excellent niveau...
Oui. Le taux de succès des chercheurs français est un des
meilleurs : quand on dépose un dossier de financement, on a plus de
chances que les autres de l'emporter, mais on dépose moins de dossiers.
Pourquoi ?
Plusieurs facteurs se combinent. Le premier, qui explique
la moindre place de la France ces dernières années, c'est la multiplication des
appels à projets en France, tous ces Idex et autres Labex qui ont largement
mobilisé les équipes, il est difficile de se battre sur tous les tableaux. Le
deuxième, eh bien ce serait une forme d'autocensure, le mot est revenu souvent.
Les chercheurs hésiteraient à se lancer de peur de ne pas être au niveau. Le
troisième tient à une culture pas toujours très encourageante et accompagnante,
avec une concurrence interne au sein de certains labos. Une chercheuse de l'UPMC
en a témoigné avec beaucoup de sincérité : les 6 millions qu'elle a
décrochés pour un projet de robotique, après plusieurs échecs, lui ont valu
quelques jalousies féroces, il faut être capable de le supporter. Le quatrième,
eh bien c'est que les dossiers européens leur semblent plus complexes que les
autres à monter. Il faut dire qu'ils doivent impliquer plusieurs organismes, de
plusieurs pays, et que la constitution du dossier répond à des règles écrites
exigeantes mais aussi à des règles non écrites – un directeur de UMR a ainsi
raconté que son projet, travaillé depuis des mois, avait été littéralement
démonté par le lobbyiste bruxellois auquel il avait fait appel pour l'aider,
parfois en fonction de critères parfaitement abscons pour qui ignore les arcanes
des institutions européennes. L'histoire s'est bien terminée : il avait
suivi le conseil et le dossier a été retenu – à la clé 6 millions d'euros.
Cette aide n'existe pas
au sein du service public ?
Si, elle se structure même de plus en plus, notamment du
côté du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du côté des
organismes de recherche CNRS en tête. Elle est en revanche inégale au sein des
universités. Il faut pouvoir recruter des ingénieurs de projet spécialisés, or
les budgets, en ce moment, sont comptés. Cette aide est absolument essentielle
car les projets se conçoivent un ou deux ans avant que les appels à projet
soient publiés – il faut donc pouvoir s'appuyer sur des experts qui savent
accéder à ce qu'on appelle " l'information grise " ; c'est un
métier qui, en gros, consiste à lire entre les lignes quelles directions les
instances bruxelloises vont prendre, quels choix elles vont effectuer.
On connaît tout de même
les grandes lignes...
Oui. Elles sont le fruit de négociations entre les pays
de l'Union européenne. Pour Horizon 2020, elles se déclinent en trois
priorités toutes destinées à Renforcer la position de l'Union européenne dans le monde dans les
domaines de la recherche, de l'innovation et des technologies ;
assurer la compétitivité de l'Europe
en investissant dans les technologies et les métiers d'avenir, au service d'une
croissance "intelligente, durable et inclusive" ;
renforcer l'attractivité de l'Europe
de la recherche ;
prendre en compte les préoccupations des
citoyens (santé, environnement, énergies propres...) et apporter des éléments
de réponse aux défis de société .
On parle ici de recherche fondamentale ou des recherche
appliquée ?
Les deux. Il y
a toute une série d'appels à projets à venir sur ce que l'Union appelle les
" défis sociétaux " ; elle en a identifié sept : Santé, Bioéconomie, Energie, Transports, Changement climatique et ressources,
Sociétés inclusives
et Sécurité. Les projets peuvent être de la pure recherche
fondamentale ou aller jusqu'à des applications très concrètes, en lien avec les
entreprises. La seule chose que ne finance pas l'Union c'est la
commercialisation.
Et tous les domaines
sont également concernés ?
Non. Et d'ailleurs certains sont nettement moins bien
dotés, c'est le cas notamment des sciences humaines et sociales. Mais il y a,
au moins officiellement, un volonté de les valoriser : on incite les
chercheurs à travailler de manière pluridisciplinaire et à intégrer une
approche " sciences sociales ". De fait elle est stratégique. Une
découverte ne se transforme pas automatiquement en innovation, même quand elle
semble très appliquée. C'est le cas de la voiture sans chauffeur. Elle existe,
elle circule même sur de vraies autoroutes, aux Etats-Unis. Mais ses
concepteurs avouent volontiers qu'il leur reste un obstacle de taille à lever,
en dehors de la question du prix, c'est de nous convaincre de monter dedans. Et
c'est là qu'interviennent les sciences humaines et sociales. Et ce qui est vrai
de cet exemple l'est de nombreux autres.
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