Cet article date de plus d'onze ans.

Faut-il confier plus d'élèves aux meilleurs enseignants ?

Diminuer la taille des classes pour améliorer la réussite des élèves... Sur le papier, cela semble évident, et une étude de l'économiste Thomas Piketty l'avait confirmé. Mais une recherche qui vient de sortir aux Etats-Unis contredit cette idée. Ce qui compte, c'est avant tout la qualité des enseignants...
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
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L'étude américaine à laquelle je m'intéresse ce mercredi, je le précise, a été réalisée par un organisme conservateur, le Thomas B.
Fordham Institute. Elle porte sur des classes équivalentes pour nous à la
charnière école-collège, du CM1 à la 4e, et a été menée pendant
quatre années en Caroline du Nord à partir des résultats de classes comptant de
21 à 24 élèves. [Elle fait l'objet d'un article sur le site The Atlantic.

](http://www.theatlantic.com/education/archive/2013/11/is-it-better-to-have-a-great-teacher-or-a-small-class/281628/)

Cette recherche a été menée dans un contexte de
contrainte budgétaire...

Comme
en France. L'article rappelle que diminuer la taille des classes jusqu'au seuil
à partir duquel l'effet est garanti coûte trop cher. Il faut donc faire
autrement et améliorer les performances.

Première étape : les chercheurs
se sont demandé ce qui se passerait  si
on augmentait les effectifs des professeurs les mieux notés. Le résultat est
assez impressionnant en classe de 4e : avec 12 élèves de plus,
soit une trentaine par classe, les gains en termes d'apprentissage sont
équivalents à deux semaines et demi d'enseignement supplémentaire. Et en
ajoutant simplement six élèves, on atteint 75 % de ce bénéfice.

Qu'advient-il
aux enseignants moins performants ? Ils sont licenciés ?

Pas forcément. Ce
système permet en effet de diminuer drastiquement la taille de leurs classes et
d'atteindre ce fameux seuil à partir duquel la diminution des effectifs produit
des effets même avec des enseignants moins efficaces ou moins expérimentés.

Ce
système aurait une autre vertu, selon les auteurs, qui est de neutraliser un
peu l'impact du hasard – si on admet que certains enseignants sont meilleurs
que d'autres, on admet aussi que leurs élèves sont privilégiés par rapport aux
autres. Dans ce système, l'effet est atténué puisque même les moins bons
enseignants atteignent de meilleurs résultats.

En fait on renverse la logique qui consiste à
déterminer la taille des classes en fonction du niveau des élèves.

Exactement. Au lieu
de dire qu'il faut être 25 par classe en ZEP mais qu'on peut être 35 voire 40 dans un
lycée d'élite, on répartit les élèves en fonction du niveau des enseignants.
Selon l'un des auteurs de l'étude, donner deux ou trois élèves de plus aux
meilleurs enseignants – et ainsi alléger les classes de moins performants –
permet déjà de changer des choses de manière significative.

D'où l'idée, aux
Etats-Unis, de donner des primes aux enseignants qui accepteraient d'avoir des
effectifs plus important – ça a été testé en Caroline du Nord et les candidats
se sont bousculés. Autre piste déjà évoquée ici le numérique et les Moocs, ces
cours en vidéo (en imaginant qu'ils soient délivrés par d'excellents enseignants). 

Et ce modèle a été validé pour tous les élèves, y
compris ceux qui sont le plus en difficulté ?

Non. C'est le point aveugle de l'étude, admettent les auteurs, qui rappellent d'ailleurs que ces
derniers sont doublement désavantagés puisqu'ils ont affaire à des enseignants
en moyenne plus jeunes ou moins performants – je rappelle aux auditeurs qui
nous rejoindraient à l'instant que nous parlons bien des Etats-Unis et d'une
recherche théorique.

Précaution
utile... En
France , on ne raisonne pas du tout en ces termes. Que disait l'étude de Thomas
Piketty, qui portait justement sur les élèves en difficulté ?

Cette étude, menée avec Mathieu Valdenaire (École des hautes études en sciences
sociales)
estime que la réduction d'un élève par classe de la taille de CE1
conduit à une augmentation de 0,7 point du score obtenu par les élèves
défavorisés aux évaluations de mathématiques de début de CE2. Si on va au-delà,
une réduction de cinq élèves par classe en ZEP mènerait ainsi à une réduction
de 46 % de l'inégalité de réussite scolaire.

"Ces résultats indiquent , je
cite l'étude, que des politiques réalistes de ciblage des moyens peuvent avoir
un effet considérable sur la réduction des inégalités scolaires, mais que ces
politiques gagneraient probablement à se concentrer sur les plus jeunes élèves
".

C'est entre autres à la lueur de cette étude que la priorité a été donnée au
primaire dans la refondation de l'école.

Sachant qu'en France, il aurait été assez délicat de
tenter une réforme en disant que certains enseignants sont meilleurs que
d'autres...

Absolument.
Du point de vue de la gestion du système, tous les enseignants se valent à peu
de choses près. Même si vous et moi avons le souvenir d'avoir eu d'excellents
professeurs et d'autres moins, même si dans les établissements il se murmure en
salle des professeurs que certains sont meilleurs que d'autres, cette idée
reste totalement tabou.

Totalement ?

Disons officiellement tabou... Les chefs d'établissements connaissent
leurs enseignants et ils peuvent éventuellement attribuer les classes en tenant
compte de ce qu'ils croient savoir des performances de leurs professeurs. Mais
ça ne sera jamais exprimé en ces termes.

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