Education : pas d'innovation sans rénovation générale
**** Rapport consacré à l'innovation et à
l'expérimentation. Et les deux termes comptent. Le premier – innovation –
évoque de manière très large des dispositifs alternatifs mis en place de
manière quasi autonome par les enseignants ou les établissements ; le
second – expérimentation – décrit un cadre institutionnel : depuis 2005,
la loi a institué un " droit à expérimenter " – c'est-à dire à déroger
à la norme scolaire – " du moment qu'il s'agit de contribuer à la réussite
des élèves " précise l'Inspection générale.
Dans le premier
cas ou parle d'enseignants dans leurs classes, dans le second on parle
d'actions cadrées par le système...
Cadrées et évaluées puisque l'idée, le cas échéant, c'est de reproduire
voire de généraliser. L'expérimentation est même censée être limitée dans le
temps. L'idée étant que si cela marche elle doit bénéficier à tous afin de ne
pas remettre en cause le principe constitutionnel d'égalité de traitement entre
les citoyens en donnant un avantage aux uns et pas aux autres.
Commençons par
les bonnes nouvelles : l'innovation
existe.
Oui, l'Inspection générale la rencontrée. Elle cite nombre
d'exemples. A Toulon c'est la création d'un conseil réunissant directeurs d'écoles
et principaux de collège. Objectif : " analyser les freins que
rencontre l'élève en difficulté tout au long de sa scolarité
obligatoire ". On est là dans l'idée du continuum école collège, qui a
"été reprise par la loi Peillon. A Chambéry, les élèves de deux classes de
seconde participent à une expérimentation, en cours de français, portant sur
l'usage en classe d'une édition enrichie pour tablette, créée par la BnF, du *Candide
- de Voltaire. A la fin les élèves auront même à écrire un conte philosophique
à la manière de Voltaire.
Tout cela est
très local... Il y a des exemples d'innovations qui s'étendent ?
Oui. Le programme PARLER, une méthode d'apprentissage de la langue
pour les petits, qui se déploie maintenant sur plusieurs académies. Il y a
aussi eu l'expérimentation " école le matin, sport l'après-midi ".
" Certains effets ne sont pour l'heure pas significatifs , écrit
l'Inspection, néanmoins, même au terme de la première année scolaire,
l'expérimentation semble déjà avoir un impact clairement positif, qui confirme
l'intérêt de son extension
Qu'est-ce
qui peut bloquer quand on veut généraliser ?
L'idée même de généraliser. Elle est séduisante disent les auteurs du
rapport, mais, je cite " elle
s'avère de fait contre-productive dans le domaine des pratiques
pédagogiques si elle est pensée mécaniquement sans souci des contextes qu'elle
modifie ". Pour le dire autrement : tout dépend des personnes – les
enseignants, le chef d'établissement qui a un rôle moteur, mais aussi
l'engagement des cadres intermédiaires et du recteur. En somme c'est une
alchimie humaine et pas un dispositif technocratique qui font que ça marche.
Donc ça fonctionne souvent au début, parce qu'on affaire à des personnels volontaires qui
cherchent à résoudre un problème local, mais ça ne peut pas être plaqué
ailleurs. " L'extension, dit le rapport, ne peut qu'être patiente ".
Il y incohérence à contraindre des
enseignants non préparés à s'emparer de ce qui doit, pour fonctionner, rester "
un espace de liberté et d'épanouissement "
Et là, comme
souvent, le rôle du chef d'établissement est essentiel.
Oui. L'enchaînement est bien décrit par le rapport : pour qu'une
innovation prenne, il faut un noyau de départ (et non un seul individu), une
direction d'établissement qui va aider (emploi du temps aménagé, horaires en
barrettes, parfois quelques moyens...), une officialisation dans le cadre du
projet d'établissement, un climat apaisé. Mais même " une fois le projet
sur les rails, " l'effet d'entraînement " est rarement automatique et le chef
d'établissement doit se mobiliser pour faire vivre le projet, en particulier
pour convaincre de nouveaux enseignants d'y adhérer.
On connaît donc
le mode d'emploi. Et malgré tout, ça patine...
Oui. " Un des problèmes majeurs réside dans le fait que la
créativité des équipes, si elle est dans un premier temps encouragée, voire
sollicitée par le discours officiel, se heurte très vite, et à tous les
niveaux, à des organisations, à des programmes et à des horaires dès lors qu'il
s'agit de passer à une échelle plus large et plus collective. Les obstacles
sont connus : frontières disciplinaires, les limites de la classe, les
grilles horaires et les habitudes de travail. Et là je vais citer in extenso le
rapport car il est extrêmement clair et probablement plus incisif que le
commentateur oserait l'être : " L'innovation, dans sa logique même,
bouscule le système et inquiète, à juste titre, les enseignants qui disent être
saturés d'injonctions paradoxales et ne savent plus ce qu'ils doivent
considérer comme prioritaire : faut-il, par exemple, se donner les moyens d'une
véritable différenciation pédagogique ou respecter le rythme des programmes et
des progressions fixé par les instructions officielles ? Faut-il évaluer pour former ou pour sanctionner le travail des élèves
?... La conséquence de tout cela est une forme d'immobilisme à plusieurs
étages, alors qu'il apparaît à tous plus que jamais nécessaire de fédérer les
énergies et d'appuyer la réussite scolaire sur l'invention pédagogique et
éducative ". D'où la conclusion sur laquelle nous avons ouvert cette chronique :
" L'innovation ne pourra pas devenir un véritable levier de ce changement
tant que la communauté éducative dans son ensemble n'aura pas accepté l'idée
d'une rénovation en profondeur des dispositifs traditionnels
d'enseignement. "
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