Comment raconter les bombes qui tombent et s’en détacher
Couvrir une guerre, c’est la conscience du risque zéro qui n’existe pas, ce sont des émotions à gérer et même dans les endroits dits sécurisés, une posture psychologique à adopter pour garder son sang-froid.
Rester calme en toutes circonstances, et se ménager des espaces de relâchement, même avec le bruit des bombes qui tombent au loin, c'est une nécessité pour les reporters de guerre sur le terrain, s'ils veulent pouvoir continuer de nous informer.
Boris Loumagne, grand reporter à franceinfo, couvre une de ses premières guerres, une guerre d’un autre temps qu’on pensait révolue, qui plus est, sur le continent européen. Laurent Macchietti, technicien de reportage à Radio France a connu ces conflits d’un autre âge.
En Ukraine, Boris Loumagne et Laurent Macchietti sont partis de Lviv pour rallier Kiev. Ils sont arrivés alors que l’ambassade de France était évacuée, on annonçait une artillerie massive des Russes sur le nord de la ville, avec l’arrivée de la fameuse colonne de 60 kilomètres. En arrivant par le sud, la route de Vinnytsia, à mesure des checks points qui se multipliaient sur la route, en direction du nord, l’atmosphère se tendait et les hommes en armes ukrainiens leur disaient "good luck".
L’approche de la capitale se fait avec appréhension.Les rumeurs d’encerclement de la ville par les forces russes sont de plus en plus insistantes. Boris et Laurent entrent finalement à Kiev sans encombre, et se positionnent plutôt dans les quartiers sud avec Roman, leur fixeur ukrainien. Éviter les faubourgs du nord et de l’ouest. Le sud offre à cet instant une possibilité de sortie de la ville, si elle était prise dans le feu ennemi.
Ce qui peut être perturbant, c’est le calme apparent
A l’hôtel, il y a d’autres journalistes, des élus ukrainiens, des humanitaires. Un semblant de vie normale car il n’y a personne dehors, et entre deux couvre-feux, des avenues désertes et de rares files d’attente devant les magasins d’alimentation et les pharmacies, et puis des détonations au loin, un bombardement, le temps se suspend et l’information arrive très vite. C’est Irpin qui est touchée. Cette grosse banlieue paisible de 60 000 habitants à 20 kilomètres au nord-ouest de Kiev est devenue un axe stratégique de l’armée russe pour s’emparer de Kiev.
Irpin est éventrée, immeubles dévastés, des ruines et du verre brisé. S’y aventurer, c’est courir le risque de croiser un char russe par inadvertance. C’est découvrir des scènes d’horreur, de destructions et de morts, les témoignages de survivants au milieu des cadavres. Boris et Laurent ne passent pas le pont d’Irpin. Ce pont que l’armée ukrainienne a détruit pour empêcher les chars russes d’avancer, mais qui complique aussi la fuite de celles et ceux qui veulent se réfugier à Kiev. Des vieillards, des enfants, des femmes, la détresse se hurle ou se dit d’une voix laconique et brisée, une voix où plus grand chose ne vit.
Boris aimerait avancer un peu "pour voir", Laurent a déjà "vu" ailleurs, un autre temps, une autre guerre, ça ne lui dit rien. C’est aussi cela une équipe de reporters : prendre les décisions à deux. Et les témoignages qu’ils recueillent en disent déjà long sur le drame d’Irpin, pourquoi avancer un peu plus vers l’épicentre. Alors ils vont à l’hôpital où affluent les blessés. Et c’est déjà bien assez lourd.
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