La symbolique du cadeau : le don et contre-don
On en parle avec Anne-Laure Gannac, de Psychologies Magazine .
Pour certains, le moment du déballage est une véritable épreuve qui
se termine quasi systématiquement par la déception. Ce qui, du coup, en
fait aussi une épreuve pour celui qui a offert le cadeau, forcément
dépité par le mauvais accueil fait à son don...
Pourquoi certains n'aiment pas recevoir de cadeaux ?
Si on prend le cas particulier de Noël, on peut comprendre
que la dimension ultra-consumériste de cette fête, l'abondance de cadeaux qu'on
étale au pied du sapin... tout cela soit devenu, pour certains, écœurant. Donc
ceux-là sont peut-être mus par des convictions disons
politico-economico-écologiques, en tout cas, ils sont sans doute en attente
d'un mouvement de don, de cadeau qui soit plus naturel, plus spontané,
moins "obligé". Au fond, un
cadeau qui soit plus affectif, finalement, alors même que cette façon qu'ils
ont de refuser ce jeu de l'offre et de l'accueil du cadeau les fait
spontanément passer pour des goujats !
Donc ce n'est pas le principe du cadeau qui leur
déplaît ?
Si, cela arrive aussi! Parce que c'est quoi un cadeau ?
C'est un
don. Or,
on le
sait, et
le sociologue
Marcel Mauss
l'a expliqué
en détails
dans ses
ouvrages, tout
don exige
un contre
don. Noël
le montre
typiquement : on
s'offre des
cadeaux les
uns aux
autres. Si
vous n'offrez
rien à
ceux qui
vous couvrent
de cadeaux,
vous pouvez
être sûr
qu'il y
a un
moment où
ils vont
arrêter de
vous en
offrir ! Le
contre don,
c'est cela.
Mais c'est
aussi le
sourire qu'on
donne à
l'autre, le
remerciement qu'on
lui fait.
Or, ça,
on est censé l'avoir
intégré depuis
un bon
nombre d'années : " dis merci
à la
dame ", c'est
un b.a-ba de
l'éducation. Sauf
que, pour
certains, malgré
tout, ce
remerciement là
reste un
défi.
Pourquoi ? ** Par
manque ** d'éducation, ** de
politesse ?**
Ou
bien par
honte, par
pudeur. Pour
remercier, et
pour recevoir
facilement un
cadeau, encore
faut-il être
en mesure
de montrer
que l'on
éprouve du
plaisir. Et
cette démarche
peut être,
pour certaines
personnes, très
intime, donc
très délicate,
parce que
bloquée par
la honte
ou la
pudeur. C'est une question de tempérament introverti,
peut-être parce
qu'on n'a
pas grandi
dans un
milieu qui
favorisait l'expression
de son
ressenti, de
ses émotions. En
tout cas,
il y
a évidemment
quelque chose
qui se
joue dans
la relation
à l'autre,
le cadeau
fait lien ;
il est
le symbole
d'une amitié,
d'un amour,
d'une affection
- et cette
dimension affective
de la
relation n'est
pas vécue
aussi simplement
par tous.
Ca
veut ** dire ** qu'on
ne ** veut ** pas
de ** ce ** lien
là ? ** On ** rejette
l'autre ?
Non,
plutôt qu'on
rejette cette
forme de
lien. Parce
que sous
ses beaux emballages, le cadeau
est une sorte
de contrat
social, relationnel.
Et donc
il peut
être vécu
comme une
atteinte à
la liberté,
à l'indépendance chez ceux
qui fuient
toute forme d'engagement.
Est-ce
que ** ce ** n'est
pas ** aussi ** un
manque ** de ** générosité ?
Si,
c'est vrai
que c'est
souvent ressenti
de cette
façon là
par l'autre,
par celui
qui offre, car effectivement la
générosité marche
aussi dans
ce sens :
savoir recevoir
un cadeau
suppose de
faire de
la place
à l'autre,
de le
prendre en
compte, ne
serait-ce, déjà,
que de
prendre en
compte l'effort,
le temps
qu'il a
pris pour
dénicher ce
cadeau.
Et
d'ailleurs, généralement
ceux qui
n'aiment pas
recevoir de
cadeaux n'aiment
pas en
faire non
plus. Preuve
que c'est
le même
mouvement.
A
côté ** de ** ces
gens ** qui ** ont
donc ** du ** mal
à ** remercier, ** qui
sont ** gênés ** par
les ** cadeaux, ** il
y ** a ** aussi
ceux ** qui ** semblent
toujours ** déçus ** par
ce ** qu'on ** leur
offre. ** Pourquoi ?**
Oui,
comme si
ce n'était
jamais assez
bien. Est-ce
parce qu'ils
sont blasés,
comme des
enfants trop
gâtés, qui
ont fini
par considérer
tous les
cadeaux qu'on
leur fait
comme autant
de dus ?
Alors, effectivement, le cadeau
ne peut
que décevoir,
parce qu'il
n'en est
plus un...
Est-ce
que ** ce la veut dire qu'ils
pensent ** mériter ** plus et
mieux ** ? ****
Oui,
sauf que
cette hyper
exigence n'est
pas nécessairement le signe
d'un ego
surdéveloppé ! Cela
peut même
être tout
au contraire,
le signe
d'un grand
manque d'estime
de soi.
Quand on
a un
idéal de
nous-même très
sévère, on
est tenté
de croire
que nous
devrions faire
plus, être
mieux avant
de mériter
quoi que
ce soit.
Et
c'est ** cette ** hyper-exigence
qui ** se ** reporterait
sur ** les ** autres,
sur ** les ** cadeaux
qu'on ** attend ** d'eux ?
Oui, j'imagine qu'au fond, chez beaucoup, derrière ces
résistances, il doit y avoir quand même le doux rêve de recevoir LE cadeau
parfait, c'est-à-dire le cadeau qui montre qu'on les connaît parfaitement,
qu'on sait exactement reconnaître leurs besoins, avant eux, même, et mieux
qu'eux. Un peu comme la mère avec son bébé – on n'est pas loin de ce
terrain-là, celui de l'idéalisation hautement sensible du cadeau, et, à travers
lui, de la relation à l'autre.
Mais qu'est-ce qu'on peut faire, alors ? Noël
approche : est-ce qu'on se résigne à ne rien leur offrir, à ces éternels
insatisfaits, ou on persiste encore, au risque d'un nouveau ratage ?
En fait, la meilleure solution serait qu'ils croient encore
au Père Noël ! Eh oui, c'est bien pratique le Père Noël, il n'y a personne
à remercier, pas de sourire à donner si on n'aime pas... Là, on peut dire que
le cadeau est un don, un vrai. Mais bon, à défaut de Père Noël, on peut
pourquoi pas, faire comme si : et décider que, cette année, chacun
découvrira ses cadeaux sans savoir de qui ils lui viennent. Pour retrouver ce
plaisir enfantin de la fête. Et puis c'est une occasion de tester notre propre
résistance au besoin de gratitude. Parce qu'on a parlé là des fragilités
probables de ceux qui ne savent pas recevoir de cadeaux, mais sans dire que la
responsabilité est peut-être partagée : ceux qui offrent, parfois,
attendent bien trop de remerciements et autres gages de reconnaissance...
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