Salazar, un long crépuscule portugais

Aujourd’hui focus sur le Portugal : il y a 50 ans, le 25 avril 1974, la chanson interdite "Grandola, Vila Morena" (Grandola, ville brune) de José Alfonso, était diffusée sur les ondes, le signal pour le début de l’insurrection.
Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
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Antonio de Oliveira Salazar, Premier ministre du Portugal de 1932 à 1968. Ici, le 1er janvier 1937. (ULLSTEIN BILD DTL. / ULLSTEIN BILD VIA GETTY IMAGES)

Le 25 avril 1974, allait s'écrouler en quelques jours, 50 ans de dictature au Portugal, celle d’Antonio de Oliveira Salazar. Aujourd’hui, décryptage avec un historien du Portugal, Yves Léonard, qui vient de publier le 18 avril chez Perrin, Salazar : le dictateur énigmatique.  

Arrivé au pouvoir sous la Dictature nationale (Ditadura Nacional), Salazar la transforma en Estado Novo (État nouveau), un régime dictatorial et corporatiste qui dirigea le Portugal de 1933 à 1974.

franceinfo : Salazar, un dictateur énigmatique qui durant la Seconde Guerre mondiale, n'a pas fait comme Franco, il restait à l'écart ? 

Yves Léonard : C’était un homme assez prudent, habile, qui avait l'art, comme on dit, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pendant la Seconde Guerre, il a quand même donné une préférence pour l'Alliance britannique, qui était l'alliance traditionnelle maritime, avec la puissance tutélaire depuis le Moyen Âge. Mais il a quand même construit une relation préférentielle avec l'ambassadeur allemand à Lisbonne.

Lisbonne, nid d'espions à l'époque ?

Ni d'espions en effet, avec tout le monde qui rivalise, qui s'observe, qui espionne. Le règne des bobards et des "fake news" avant l'heure, correspond bien, un peu, à la nature sibylline, sinueuse, ductile, comme je le dis, de Salazar, qui prend toujours soin de ne pas trop se dévoiler, de préserver les intérêts stratégiques de son pays, c'est-à-dire la neutralité. C'est un homme qui est très habile, qui sait à peu près naviguer à vue, qui négocie de manière très sournoise avec les Anglais la question des Açores.  

Il y a aussi les colonies portugaises en Afrique ?

C'est la partie non négociable. C'est ce à quoi on ne peut pas toucher. Et donc, le récit national qu'il a construit, ne peut pas se comprendre sans l'apport des colonies. C’est-à-dire que le Portugal n'est pas un petit pays, dit la propagande, il n'est pas un petit pays, pourquoi ? Parce qu'il y a l'Angola, le Mozambique et tout le reste. 

Salazar, c'est aussi le dictateur qui veut un pays agraire, surtout pas un pays industriel, parce que pour lui, qui dit industrie, dit prolétariat, et qui dit prolétariat dit communisme ?  

Voilà. Et lui, ce dont il rêve, c'est un Portugal rural, où les Portugais vivraient "habituellement", comme il le dit, c’est-à-dire en respectant l'ordre immuable des choses. Ce registre-là, Salazar va beaucoup l'utiliser. D'abord, lui-même est originaire d'une province intérieure, d'un milieu relativement modeste, et c'est un homme qui a au fond de lui "un nationalisme de la terre et des morts", comme on disait.

Et puis, il y a l'Église catholique qui est puissante, bien implantée, il y a des notables locaux qui sont sous contrôle, à sa main. Et ça crée un écosystème local qui lui permet de régner sans partage. Et pour tous les récalcitrants – ils existent – de les identifier comme communistes.

Pas d’opposition, avec une police politique la Pide…  

La Pide est omniprésente, très bien organisée, elle va l’être de plus en plus, après la fin de la Seconde Guerre mondiale et ses moyens vont aller en augmentant. Elle identifie ceux qui conspirent contre le bien de la nation, comme on dit. Mais à la fin des années 50, il y a un double phénomène : Salazar, va vouloir promouvoir ce qu'il appelle une sorte de colonialisme tardif, soit, dire aux Portugais issus de milieux modestes, les petits Blancs comme on les appellera, qu’ils viennent s'installer dans les colonies, en Angola, et au Mozambique, principalement.

Et puis une réalité de terrain, la pauvreté, mais pas seulement la pauvreté, les guerres coloniales, qui font que beaucoup de jeunes Portugais, pour ne pas faire le service militaire, pour ne pas partir outremer, quittent dans la clandestinité le Portugal.

Ce sont des centaines de milliers de Portugais qui fuient littéralement le fameux saut, le "salto", pour se réfugier en France, en Allemagne fédérale, en Suisse, en Belgique, bref, là où ils peuvent espérer trouver un avenir meilleur. Souvent difficile au début, parce que ce sont les bidonvilles, mais ils sont au contact de populations où ils voient qu'il y a de la consommation, des libertés publiques, des protections syndicales et des congés payés, toutes choses qui n'existent pas au Portugal. Et ils se disent, "mais c'est peut-être ça qu'il faudrait imposer dans notre pays, qui est si en retard."

Et puis, c'est une dictature portugaise pas trop mal vue par l'Occident ? 

Ce qui a sauvé en partie le régime, c'est d'abord son attitude ambiguë pendant la Seconde Guerre mondiale, mais c'est surtout son anticommunisme et la guerre froide. L'OTAN, membre fondateur de l'OTAN, pas comme l'Espagne. Salazar tout de suite est l'interlocuteur privilégié, et en plus il a des relations avec Franco, qui sont complexes : amitié et intérêts communs et affinités électives aussi sur quelques fondamentaux. Mais en même temps, comme on dit, c'est aussi pour lui un général, et un général pour Salazar, c'est quelqu'un qui, sur le plan intellectuel, est faiblement structuré.  

Quatre ans avant la Révolution des œillets du 25 avril 1974, Salazar décède le 27 juillet 1970. Votre dernier chapitre sur la fin de Salazar s'appelle "Horizon funèbre" et non pas oraison ? 

Horizon funèbre, effectivement, parce que les derniers mois correspondent bien à cette image à la fois déclinante de sa personne, et d'un régime qui n'y arrive plus. Et d'ailleurs la suite va le montrer le Salazarisme sans Salazar, ça ne marche pas. 

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