Quid du renseignement en 2025 ?
Bruno Fuligni, cette année, de nombreuses thématiques sont apparues en regard de l'actualité, entre autres La mer Rouge, nouveau théâtre géopolitique.
Oui, la mer Rouge est une zone de fracture, évidemment. C'était longtemps une zone de passage. Ce passage est un peu compliqué par les tirs des Houthis. Et puis, surtout, si on regarde attentivement tout autour de la mer Rouge, on a que des États qui sont en état de guerre, de guerre civile, en butte à des organisations terroristes, à des mouvements séparatistes, donc tout autour de la mer Rouge, du côté africain comme du côté asiatique et jusqu'au débouché en Méditerranée. Nous sommes dans des zones de crise. Récemment, par exemple, c'est l'île de Socotra qui était un peu sortie de l'histoire et qui vient d'y revenir très bruyamment. C'est une île qui est censée dépendre du Yémen. Elle s'est largement détachée du Yémen et les Émirats arabes unis en ont profité pour débarquer et ont quasiment annexé l'île. Ce sont les Émiratis qui font la loi sur cette île. Idéalement placée à côté d'un des principaux rails du commerce international.
On est loin de l'Europe. Mais les renseignements européens aujourd'hui sont des renseignements qui travaillent sur l'ensemble de la planète, et c'est la raison pour laquelle la France s'est dotée d'un commandement des actions dans la profondeur et du renseignement qui dépend de la Direction du renseignement militaire.
On est au cœur de l'Europe puisque le CAPR, Commandement d'Action dans la Profondeur et du Renseignement, a son centre à Strasbourg. Donc évidemment, il est très tourné vers l'est du continent européen. Alors bien sûr, il n'est pas de rien, c'est l'ancien commandement du renseignement, mais remodelé avec des missions nouvelles, et puis une quinzaine d'unités qui le composent, dont une école, des drones. Donc c'est tout à fait intéressant de savoir qu’existe cet acteur du renseignement qui est tout à fait nouveau dans sa configuration actuelle.
Dans notre actualité française et européenne, le trafic d'armes des pays sous embargo.
Le commerce des armes déjà légal est un marché colossal qu'on estime à 112 milliards de dollars. C'est tout à fait important. Mais derrière le marché, je dirais ordinaire, légal, il y a tout un marché gris et un marché noir des armements. Aujourd'hui, les États-Unis sont le premier exportateur d'armes. Dans les grands importateurs, on a l'Arabie saoudite, le Qatar, l'Ukraine et évidemment l'Inde. Et après, il y a tous ces pays sous embargo dont certains ont recours à une mystérieuse flotte fantôme comme on dit, c’est-à-dire des bateaux qui transportent, qui du pétrole, qui des armes, qui des composants, toutes sortes de choses qui ne sont pas censées transiter en direction de ces pays et qui transitent.
Néanmoins avec des villes qui sont des plaques tournantes et entre autres des villes proches de l'Union européenne, dont une Tallinn en Estonie.
Tallinn en Estonie, qui est un point d'observation avancé vers la Russie, la Biélorussie, qui est aussi devenu un centre de la cyberguerre pour l'OTAN, qui est une sorte de Silicon Valley militaire sur la Baltique. Sur la Baltique également, il faut signaler l'île de Gotland, île suédoise qui avait fait parler d'elle pendant la guerre froide où on observait les sous-marins soviétiques. Elle avait été démilitarisée en 2005 avec l'idée d'en refaire une île écolo, tranquille, paisible. Évidemment, ces projets-là sont remisés dans les cartons. L'Île se remilitarise, redevient une véritable vigie. On est à moins de 300 kilomètres de l'enclave russe de Kaliningrad, cet Oblast détaché du reste de la Russie, l'ancienne Königsberg prussienne, qui est un territoire russe très avancé en Europe occidentale. Et depuis Gotland, on observe tout ce qui se passe et tout ce qui se dit Kaliningrad.
C'est la raison pour laquelle votre conclusion a pour titre La troisième guerre mondiale a déjà commencé.
Oui, ce sont les Chinois qui le disent en quelque sorte. C’est-à-dire que la nouvelle doctrine, en Chine en particulier, c'est que le champ de bataille aujourd'hui est partout. C’est-à-dire que, avant même qu'on ait commencé à tirer des coups de canon, des coups de feu, qu'il y ait des morts sur le champ de bataille classique. En fait, la guerre se mène sur tous les fronts, y compris l'information, y compris dans la fiction, dans la formation du jugement, la cognition comme on dit, y compris dans les représentations que les enfants peuvent se faire du monde, de la société. Donc cette guerre, elle est en cours aujourd'hui, il y a une guerre du droit, il y a une guerre informationnelle, il y a une guerre de l'influence. Toutes ces guerres-là, il faut en avoir conscience. Et le but de cet atlas, c'est d'essayer de rendre visible un peu tous ces mouvements de fond qui agitent le monde d'aujourd'hui pour qu'on ne soit pas trop surpris quand les coups de feu retentiront vraiment.
Atlas secret du renseignement avec le Bureau des légendes, par Bruno Fuligni, éditions Gründ.
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