Moldavie, Roumanie : une autre Europe naissante
Catherine Durandin est une historienne spécialiste de la guerre froide, des questions internationales et de la Roumanie. Elle vient de publier en septembre dernier, Moldavie : le défi, un pari, aux éditions Petra. "La Moldavie, dont la neutralité est inscrite dans sa constitution de 1994, est cernée par l’environnement de la guerre russo-ukrainienne", explique-t-elle dans cet ouvrage.
franceinfo : Nous avons vu dernièrement le résultat des élections pro Europe en Moldavie, avec Maia Sandu comme présidente ?
Catherine Durandin : Oui, les Moldaves ont voté le 20 octobre dernier, pour un référendum, "oui ou non adhésion, intégration dans l'UE". Ce référendum est passé vraiment sur le fil du rasoir, avec à peine 51% de voix pour, sachant que la diaspora moldave est très, très nombreuse en Italie, en France, au Canada, et qu'elle a joué un rôle favorable au vote Union européenne.
C'était attendu, la Moldavie est pauvre, un PIB d’un peu plus de 6.000 dollars par habitant, pays peu peuplés, 2.600.000 habitants, mais ils étaient 4 millions en 1989. Donc c'est un pays qui fuit avec un exode de survie, et globalement un pays orthodoxe, dont la population ne comprend pas la légèreté des mœurs ou la "tolérabilité", la tolérance, appelez-la comme vous voudrez en Europe occidentale…
Ils ont quand même voté pour l’Europe ?
Oui, ils ont voté à 54% de présence, à 50,03 oui. Donc on ne peut pas dire que ce soit une adhésion enthousiaste.
Mais une partie de la Moldavie s'appelle la Transnistrie, là, c'est un territoire pro-russe.
Alors la Transnistrie, c'est très compliqué. C'est un territoire qui appartenait, avant la fin du communisme, à une partie complètement soviétique de la Moldavie, avec une capitale, Tiraspol. La Transnistrie, en 1991, n'a pas accepté l'idée, ou le risque, que la Moldavie puisse s'unir avec la Roumanie, et ils ont pris les armes.
Il y a donc eu pendant quelques mois, appelons ça une guerre civile, une guerre de confrontation entre les pro-russes et les pro-moldaves, pro-roumains de l'autre côté, avec plusieurs milliers de morts. La paix a été signée, mais le statut de la Transnistrie n'est toujours pas reconnu, ni ratifié, et ça reste un pôle pro-russe.
Mais depuis le 23 juin 2022, la Moldavie a obtenu le statut de candidat à l'adhésion à l'UE, accordé par l'Union européenne ; pas encore état membre, puisque l'acquis communautaire n'est pas facile à intégrer. Ce serait la Moldavie, avec ou sans la Transnistrie ?
C'est la question qui tue, et pour laquelle je n'ai pas de réponse. Pour le moment, les affaires sont gelées. Il apparaît tout de même que lors des dernières présidentielles, presque 20% des habitants de Transnistrie, qui sont supposés être pro-russes comme un seul homme, ont voté du côté européen de la présidente Maia Sandu, parce qu'ils font des affaires, et qu'ils voient le développement des affaires du côté européen.
Et dernièrement, dimanche dernier, au premier tour des élections en Roumanie, c'est Calin Georgescu qui est arrivé en tête, lui, candidat souverainiste et pro-russe ?
Alors là, c'est une surprise, parce que les sondages lui donnaient au début de la campagne électorale et à trois mois, 2% des voix, et il arrive au premier tour des élections présidentielles le 24 novembre dernier, avec pratiquement 23% des voix. C'est un souverainiste, un pro-russe. Et il faut noter, parce que c'est quand même extrêmement grave et important, que l'essentiel de sa campagne électorale a été fait en grande partie par TikTok – c'est banal – mais sur le thème : Aider l'Ukraine, non. Il faut cesser l'aide à l'Ukraine, et il faut retrouver la paix.
Dans le cadre d'un accord de paix en Ukraine, une petite musique "court" à l'est de l'Europe : si paix il y avait, la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, seraient tentées de récupérer leurs territoires pris en 1945 en Ukraine ?
Je ne crois pas beaucoup à cette démarche. Ce que je vois plutôt au moment d'un accord de paix, je vois plutôt une remise en cause de l'OTAN. La Roumanie est un pays "otanien", totalement. Il y a des bases extrêmement importantes au bord de la mer Noire, en Roumanie, à Constanza par exemple, et il y a une base française qui se développe en Transylvanie, à Cincu, et la France est profondément impliquée, puisque nous sommes la nation cadre de l'OTAN en Roumanie. Il semble que, ce coup de sifflet pro-russe du vote du 24 novembre, cette situation ne soit peut-être pas vouée à l'éternité.
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