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Micro européen. Les Italiens promoteurs d’un nouveau tourisme ?

Comment protéger Venise des dégâts causés par les paquebots de croisière, comment d’une manière plus large protéger le patrimoine italien. La crise sanitaire bouleverse la donne touristique chez nos voisins latins. Le tourisme planétaire est à réinventer. 

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié Mis à jour
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Les immenses bateaux de croisière ne cessent de traverser la lagune de Venise, et menacent l'intégrité de la ville.  (NORBERT SCANELLA / AFP)

Comme l’explique Rémy Knafou* dans le diploweb, le tourisme vient du mot anglais "tourist" qui désignait vers 1772 une personne accomplissant un "tour" pour des raisons ou marchandes ou non diplomatiques.

De l’origine du tourisme

Ainsi le mot "tourism", soit une activité qui résulte des pratiques des touristes, est apparu au XIXe siècle, en 1811. Cette pratique progressivement inventée en Europe occidentale, entre la Renaissance et le siècle des Lumières, avec le "Grand Tour", c’est-à-dire un voyage d’initiation  des jeunes aristocrates britanniques sur le continent, vers des lieux de la civilisation grecque, romaine, etc… Il faut attendre la Révolution industrielle où la division du travail a permis à une frange de la société "laborieuse" de développer des pratiques "nouvelles", inspirées du "Grand Tour" de l’aristocratie.

Comme le rappelle Rémy Knafou, l’autre origine du tourisme vient aussi des pratiques thermales remontant à l’Antiquité, aussi celles des pèlerinages et des villégiatures aristocratiques. (Propos recueillis par Alexandre Jacomin, étudiant en hypokhâgne à la Prépa de l’ENC Blomet-Paris).

L’ouverture au tourisme

On peut dire que l’Italie a initié le tourisme dès la fin du XIXe siècle, se développant tout au long du XXe siècle, précurseur ainsi de l’industrie touristique actuelle qui s’est muée depuis un demi-siècle en tourisme de masse, engendrant une forme de "pollution" qui est une réalité aujourd’hui dans de nombreux pays, d’abord méditerranéens. Cette "pollution" est en fait au pluriel, donc "pollutions".

Tout d’abord face à la raréfaction de l’eau, pollution atmosphérique par le transport aérien, pollution sonore sous-marine par l’engouement d’activités nautiques, pollution terrestre à commencer par les déchets de toutes sortes, pollution des lieux historiques par la "sur-fréquentation humaine". Ainsi, après quelques décennies "d’activités touristiques", les habitants de lieux touristiques entrent en révolte contre le tourisme de masse, détruisant leur environnement, ici une activité touristique envahissante qui, même soutenant une économie locale, n’en est pas moins génératrice d’un déséquilibre tant par le développement touristique que par le comportement des touristes eux-mêmes.

Au niveau de certains états, certaines mesures de préservation de l’environnement ont été prises, c’est le cas par exemple en Corse, (dont la côte Est est menacée aujourd'hui par des nappes d'hydrocarbures sur 35km) et concernant les habitants, ils et elles font entendre leurs voix en Espagne, en Grèce, en France, surtout les insulaires, aussi en Italie, comme l’explique notre invité Daniele Zappalà, journaliste et universitaire italien, correspondant du quotidien Avvenire.

Basta ! 

La polémique reprend de plus belle à Venise, concernant les immenses paquebots sillonnant les eaux de la Méditerranée, un minimum de 3 000 passagers voire beaucoup plus pour certains. Les monstres des mers font sortir leurs opposants, défenseurs de l’environnement et du patrimoine culturel, mettant en cause les vagues engendrées par ces temples flottants du tourisme de masse, véritables immeubles érodant les fondations de Venise.

Comme le rappelle Daniele Zappalà, Venise est inscrite au patrimoine de l’Unesco,  et cette activité touristique ne cadre surtout pas avec la préservation de l’écosystème de la lagune. Et les nuisances de ces navires se révèlent aussi à quai, générant du souffre, sans parler du débarquement en visites de 3 000 ou 5 000 touristes, invasions dans des lieux préservés comme Dubrovnik en Croatie, ou certaines îles grecques. Même si ces touristes sont une manne commerciale, il suffit d’imaginer 3 000 personnes consommant chacune un cornet glacé enveloppé, jetant l’emballage, augmentant les déchets au niveau local, le ratio n’est peut-être plus en faveur de l’économie locale.

Des voix pour Venise

Il n’y pas que les Vénitiens qui se révoltent contre ces envahisseurs des mers, des célébrités ont interpellé le président italien, Sergio Mattarella, et le président du Conseil, Mario Draghi. De Mick Jagger à Francis Ford Coppolla , en passant par l’ancienne ministre de la culture française, Françoise Nyssen. Leurs signatures ont accompagné une lettre intitulée "Un décalogue pour Venise", demandant à travers la protection de l’écosystème de la lagune et la protection de la cité des Doges, une gestion raisonnée du tourisme. Ce décalogue est en parallèle avec le décalogue des Maires de Venise et Florence, soit un manuel de 10 propositions pour une relance du tourisme.

Le Maire de Florence, Dario Nardella, propose un nouveau modèle de tourisme, plutôt lié à la valorisation, à la promotion et la protection des villes d’art. Aussi pour les deux édiles de Venise et Florence, la question de la protection du patrimoine demande aussi de réglementer les "locations courtes de logement" à travers des plateformes internet, véritable concurrence hors de proportion pour le tourisme local.

Mais les initiatives municipales italiennes sont nombreuses depuis un certain temps. Ainsi, dans les "Cinque Terre" en Ligurie, véritable joyau patrimonial de 5 villages, le tourisme a été réglementé par des quotas, empêchant des invasions néfastes à l’environnement. En Toscane, à Lucca, Luques en français, autre joyau, le Maire s’est opposé au développement des restaurations rapides, burgers et autres kebabs, au profit de la restauration locale toscane, sans commune mesure.

C’est la dose qui fait le poison !

La formule de l’alchimiste Paracelse est criante de vérité en ce qui concerne le tourisme de masse. Bien qu’ayant généré des centaines de milliers d’emplois à travers le monde, et bien souvent, faisant dépendre de nombreux du pays du tourisme, ce n’est plus ici un rapport "gagnant-gagnant", mais une véritable prise d’otage annuelle.

Plus de tourisme signifierait la ruine économique et la chute vers l’indigence dans certains lieux de la planète. C’est la raison pour laquelle de nombreux états pensent aujourd’hui à un tourisme "intelligent", humain, sans déséquilibres économiques. Cela passe d’abord par la prise en compte de la préservation de l’environnement et du patrimoine. Sans oublier la souffrance animale, comme c’est encore le cas où certaines visites touristiques utilisent des ânes, par exemple, véritables bêtes de somme au service de vacanciers imperturbablement égoïstes et suffisants.

Mais au-delà, ne s’agit-il pas surtout d’une éducation au tourisme concernant les usagers, c’est-à-dire les touristes eux-mêmes. Tout d’abord, considérer que le lieu de leur villégiature n’est pas un parc d’attraction, mais un environnement humain. Les vacances ne sont jamais synonyme de liberté personnelle, égoïste mais de liberté partagée. Les habitants du lieu ne sont pas des figurants, et l’environnement qu’il soit naturel ou patrimonial demande autant de respect que le respect dû à son voisin, même s’il ne partage pas la même culture.

Enfin, le tourisme, c’est-à-dire le voyage, hormis la part du rêve, demande une certaine humilité, c’est-à-dire s’initier au lieu à visiter et adapter son comportement à la connaissance et non pas à la désinvolture sans limite. En somme, ne faut-il pas réapprendre le savoir-vivre, avant que ce "tourisme" ne devienne dystopique…

* Rémy Knafou est géographe, professeur émérite de l’université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, créateur du Festival International de Géographie de St-Dié-des-Vosges, fondateur fondateur de la première équipe française de recherche dédiée au tourisme. Il est l’auteur de nombreux travaux sur le tourisme qui font aujourd’hui référence.
Il publie Réinventer le tourisme. Sauver nos vacances sans détruire le monde, Éditions du Faubourg, 2021.

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