L’Orient, les Balkans et l’Europe…
Regards croisés sur L’Orient, les Balkans et l’Europe aujourd'hui, avec José-Manuel Lamarque et son invité, le réalisateur Serge Avedikian.
Serge Avedikian, a titré son dernier film Retourner à Sölöz. Il est souvent retourné à Sölöz, c'est-à-dire le village de ses grands-parents, près d'Istanbul. Il est aujourd'hui le témoin qui peut nous expliquer cette réalité européenne, la Turquie, l’Arménie aujourd'hui. Ces Arméniens en France depuis tant de temps, et qui sont tellement français et profondément arméniens, remarquables. L'Arménie avec l'Azerbaïdjan, voilà, c'est un peu compliqué.
franceinfo : Comment vous voyez tout ça, vous, par rapport à l'Europe ? Parce que vous êtes français ?
Serge Avedikian : Oui, je suis Parisien même. Je suis un francophone amoureux de la langue française et de la culture française que j'ai appris à Erevan, en Arménie, à la première école française. Donc je vois cette situation d'une façon à la fois très intérieure, et en même temps, assez lucide. La Turquie, j'ai toujours aimé y aller parce que je me sens un peu chez moi à Cela, le village de mon grand-père, près de la ville de Bursa, au sud d'Istanbul. Et ça a donné ce deuxième film qui s'appelle Retourner à Sölöz, mon attachement à la culture mosaïque de la Turquie, est très fort.
Je considère que les Grecs, les Assyro-Chaldéens, les Arméniens, les Juifs ont été très présents dans l'histoire de l'Empire ottoman et le restent d'une certaine façon, mais de façon un peu souterraine, parce que le nationalisme turc a pris le dessus. Géopolitiquement, il se passe des choses non pas étranges, mais un peu courues lorsqu'il y a une déstabilisation, comme un tremblement de terre, si je puis dire, dans cette région qui est le Caucase du Sud, l'est de l'Europe comme on sait. Je pense que les cartes sont tout le temps en train d'être redistribuées.
Mais derrière tout ça aussi, n'y a-t-il pas, je dirais du côté européen, le fait de ne jamais vouloir comprendre qu'il faut dialoguer, que ce soit avec les uns ou les autres ?
C'est-à-dire qu'à partir du moment où l'Europe, l'Union européenne en tout cas, joue un peu les arbitres, un peu ce que les Américains ont passé leur temps à faire, c'est sur le modèle américain. Ils essayent en tout cas de jouer un peu les gendarmes, moraux d'un territoire et d'une politique qu'ils ne connaissent pas.
On en voit le résultat aujourd'hui dans les Balkans parce que tout le monde a voulu s'en mêler dans les années 90 et aujourd'hui, c'est une catastrophe ?
Et d'ailleurs, j'ai l'impression que l'ex-Yougoslavie revient sur le tapis aujourd'hui parce que justement, les scissions qui ont été faites avec le Kosovo, Sarajevo, Srebrenica, après tant de conflits tragiques, ce n’est toujours pas résolu. Ce n'est pas résolu parce qu'il n'y a rien de clair dans les propositions. D'une certaine façon, c'est juste, on sépare les gens, comme ça on est tranquille. Et ce que vous dites est très juste, c'est que le dialogue manque réellement. C’est-à-dire, on n'écoute pas, on n'entend pas.
La Turquie, vous qui êtes un amoureux de la Turquie, il faut dire que quand on est à Istanbul, comment ne pas en tomber amoureux. Comment vous la voyez cette Turquie face à l'Europe dans l'avenir ?
Ecoutez, moi ça fait longtemps que j'espérais que ce soit vis-à-vis du génocide des Arméniens, que sa reconnaissance puisse être un moment d'actualité pour apaiser les choses, pour commencer avec de nouveaux commerces et dans le bon sens du terme. Humainement, je veux dire. Mais ça ne vient pas, parce que je pense que toute l'histoire contemporaine de la Turquie a été fondée sur des mensonges de l'après Première Guerre mondiale, et d'ailleurs, l'Occident y est pour quelque chose.
On a laissé faire Atatürk, on a laissé de nouveau scinder les gens, on a laissé partir les chrétiens, fait venir les musulmans des Balkans. Je veux dire que toutes ces séquelles, toutes ces cicatrices ne se feront pas d'un jour ou l'autre. Ça laisse des traces. Et aujourd'hui, ces traces-là, ne s'effacent pas non plus.
Et dieu sait que nous avons une chance que personne ne veut prendre. Aujourd'hui à Strasbourg, depuis 1949, le Conseil de l'Europe : 47 États membres, les Européens et d'autres États membres et parmi ses États membres, il y a l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Turquie. Et personne ne prend cette chance au vol, en se disant on a une assemblée pour se parler, et malheureusement ils ne se parlent que très peu.
Mais je pense tout simplement que c'est un partage d'intérêts qui est de mise dans ces assemblées-là, plutôt qu'un partage équitable de ce que serait l'histoire d'un peuple ou d'un autre, et des liens qu'il y a entre ces peuples. Ces peuples sont liés par leur histoire. Ces peuples parlent la langue de l'autre, ces peuples connaissent la religion de l'autre, la musique de l'autre, et on passe notre temps à les séparer. Enfin, ils passent aussi leur temps à se séparer, parce que ce sont les rapports de force qui comptent, parce que ces peuples-là, eux-mêmes et leur pays, sont sous influence.
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