La Grèce est-elle menacée par la Turquie ?
La Grèce et la Turquie : y a-t-il une vraie menace turque envers la Grèce ? Et si oui, la Grèce est-elle sur le pied de guerre ?
Aujourd'hui, nous évoquons la situation de la Grèce en compagnie d’Olivier Delorme, historien, spécialiste de la Grèce et des Balkans, auteur de La Grèce et les Balkans, en trois tomes chez Folio.
franceinfo : Qu'en est-il réellement des menaces de la Turquie envers la Grèce ?
Olivier Delorme : Oui, il y a une vraie menace turque aujourd'hui vis à vis de la Grèce. La tension dure avec des hauts et des bas depuis l'été 2020. Elle s'est notamment focalisée sur les tentatives de la Turquie de faire des forages dans la zone économique exclusive en Méditerranée de la Grèce. Et la Grèce n'a pas accepté ce coup de force à l'été 2020, et donc la tension demeure avec de la part du régime Erdogan, la volonté de remettre en cause les traités qui ont réglé les questions territoriales et maritimes, à la fin de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, les traités de Lausanne et de Paris.
Et donc, aujourd'hui, on a toute une série de déclarations extrêmement belliqueuses de la part d'Erdogan et de ses ministres. Il a menacé d'invasion un certain nombre d'îles, et il l'a fait en grec, pour être plus entendu par le public grec. Et au mois de septembre, alors qu'on commémorait le 100ᵉ anniversaire des massacres de Smyrne, dans lesquels entre 30 et 50 000 Grecs et Arméniens ont été massacrés en une semaine par les Turcs, en 1922, il a dit aux Grecs : "Rappelez-vous de Smyrne, nous pouvons débarquer du jour au lendemain et refaire la même chose".
Quand on est en Grèce, sur le littoral ou dans les îles grecques, très régulièrement, on voit passer des frégates grecques et des avions de chasse grecs...
Oui, parce que l'espace maritime grec et l'espace aérien grec sont régulièrement violés par des avions ou par des bateaux militaires turcs. Depuis 2020, la Grèce a entamé un processus de réarmement, notamment en achetant à la France des Rafale et des frégates. Les pilotes grecs sont réputés être parmi les meilleurs du monde, avec les Israéliens, parce qu'en fait ils sont obligés de faire des sorties et d'avoir des entraînements en situation de combat réel.
Donc, c'est un état de tension et de provocation permanente de la part des Turcs. On voit bien que les Turcs cherchent l'incident. Pour l'instant, le gouvernement grec a, à mon avis, la bonne posture, c'est-à-dire que, à la fois, il réarme, donc il y a une supériorité aérienne grecque et une supériorité maritime grecque, pour l'instant, notamment grâce aux Rafale. Et parce qu'Erdogan a des F-16 qui sont aujourd'hui un peu dépassés du fait de l'embargo américain sur les armes à destination de la Turquie. Et que la Turquie a également été exclue du programme F-35.
Mais Erdogan essaye aujourd'hui de nouveau d'acheter des F16 plus modernes que ceux qu'il a à l'heure actuelle. Et si les Américains refusent, il menace d'acheter des avions à la Russie ou l'avion de combat européen l'Eurofighter.
Dans quelques semaines, nous serons en 2023. Pour Erdogan, c'est l'année cruciale : élection présidentielle, élection législative et centenaire de la République turque. Va t-il tenter quelque chose contre la Grèce ?
C'est tout à fait possible. Simplement, aujourd'hui, Erdogan est dans une position très difficile parce qu'il a une inflation absolument délirante. On est à quelque chose comme 185% d'inflation sur un rythme annuel, avec une dépréciation continue de la monnaie qui quasiment, chaque semaine, bat des records historiques de baisse par rapport au dollar. Donc les importations sont de plus en plus difficiles, elles coûtent de plus en plus cher.
De plus en plus de Turcs n'ont plus accès à des produits de première nécessité, à des médicaments qui sont en pénurie. Les sondages des prochaines élections présidentielles le donnent perdant face au maire d'Istanbul ou au maire d'Ankara, qui sont ses deux possibles concurrents. Mais un despote n'est jamais plus dangereux que quand il est dans une position difficile. Et donc je dirais que plus il est en danger intérieur, plus il est dangereux pour la Grèce.
Et n'oublions pas qu'il y a toujours cette éternelle amitié franco-hellénique...
France, Grèce : alliance, disent les Grecs…C'est quelque chose qui remonte très loin dans l'Histoire, en partie à la guerre d'indépendance, et à plusieurs reprises au cours du XIXᵉ siècle. Et je dois dire que les positions du président Macron au moment de la crise de 2020, puis la vente des Rafale ont considérablement renforcé l'image de la France en Grèce. Et on réentend ce vieux slogan dans beaucoup de bouches aujourd'hui.
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