"Bella Italia, un itinéraire amoureux" de Christiane Rancé
Christiane Rancé, est romancière, essayiste et biographe. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont La Passion de Thérèse d’Avila (prix Essai de l’Académie française, 2015), En pleine lumière (2016), Lettre à un jeune chrétien (Tallandier, 2017) ou encore Le Grand Large (2021). Elle a publié en février 2023, Bella Italia, Un itinéraire amoureux, chez le même éditeur. Un voyage en Italie comme une invitation à retrouver "le goût du bonheur et de l’éternité".
franceinfo : Vous avez eu la chance de visiter Rome avec deux icônes du cinéma italien, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, et vous avez découvert leur Rome ?
Christiane Rancé : Oui, ça a été une très grande chance. J'étais en fait au départ partie pour interviewer Vittorio Gassman qui m'a reçue chez lui. Et puis l'interview s'est bien passée. Il m'a invité à le suivre. Il devait aller à Cinecittà. Le lendemain, il montait une pièce qui s'appelait Ulysse ou la baleine blanche, où il faisait une espèce de mix entre Herman Melville et Homère. Et donc je suis partie avec lui traverser Rome, et Marcello Mastroianni s'est joint à nous, et j'ai eu droit à une espèce de sous-titrage de bande originale, de cette traversée de Rome extraordinaire, à l'ombre de Fellini.
Parce que Vittorio Gassmann, qui était très connu des chauffeurs de taxi, haranguait les chauffeurs en leur disant : "Oui, mais rien ne va plus, suivez-moi, on va faire la révolution." Et Mastroianni commentait derrière, en lui disant : "Tu sais que si tu continues, tu vas terminer comme un imperator de péplum." Et voilà.
Nous sommes allés comme ça, passant par des petits quartiers traversant tout Rome, arrivant à Cinecittà, qui, à l'époque ne connaissait pas la renaissance d'aujourd'hui avec le tournage des séries, et c'était extraordinaire, parce qu'il y avait quand même ces créatures italiennes incroyables. Il y avait l'ombre de Fellini, il y avait ces studios déserts, dont cette espèce de rêve absolument insensé, de cet empire romain qu'avait voulu reconstruire avec Cinecittà, le Duce.
Grâce à vous, dans votre ouvrage Bella Italia, on visite toute l'Italie, cette botte encerclée par la mer, avec ses différences, parce que ce n'est pas l'Italie, ce sont les "Italies" ?
Oui, après le Covid, j'ai eu l'envie irrépressible de repartir pour l'Italie, et je me suis demandé pourquoi j'aimais ce pays, et pas un autre. En fait, j'ai découvert en visitant le pays, que c'était peut-être le dernier qui nous offrait encore un sentiment indéfinissable et inépuisable de bonheur, et qu'il nous permettait aussi de renouer avec l'éternité.
Il y a quelque chose de magnifique en Italie, c'est que les Italiens sont heureux d'être de là où ils sont. Dans chaque village, ils cultivent leur façon d'être, ils cultivent leurs spécialités, leurs fêtes. Et ça n'est jamais du folklore. Il y a une familiarité avec le plus beau et le plus profane, et on est toujours dans un pays de consolation et de conciliation, qui est merveilleux pour ça.
C'était la très grande émission du dimanche matin sur le RAI, Linea Verde, où on allait tous les dimanches dans une région différente, à déguster les plats, visiter la campagne et puis l'Italie journalistique, ça montre bien ces Italiens, parce que chaque journal est imprimé dans une ville différente.
Par exemple, La Repubblica, c'est Rome, La Stampa, c'est Milan. Alors on peut acheter La Stampa à Rome, et puis La Repubblica, à Milan. On sait que ce n'est pas fait dans la même région. C'est ça l'unité italienne quelque part ?
Oui, mais c'est aussi un des caractères extraordinaires, et qui explique sans doute ce qu'on a appelé le miracle italien, qui est que ce pays s'est toujours construit en famille, les grandes familles, les Visconti, les Este, les Médicis, bien sûr, et chacun a voulu faire de sa ville, la plus belle ville. Même en étant très guerrier, chaque ville s'est servi de la beauté pour exalter sa puissance, et ça, c'est extraordinaire, parce que cet esprit très "famille" – même dans ses versions les plus noires, qui sont la version de la mafia – est resté en Italie. Et donc, on est fier.
Alors je ne parle même pas de la Sicile où là, carrément, un Sicilien doit revenir en Sicile, les Deux-Siciles. Mais chaque Italien revient dans son village, même un petit village. Et l'été, c'est merveilleux, quand vous allez, par exemple en Ligurie, de retrouver ces villages qui sont complètement perchés, tout à fait ouverts, les rues ouvertes, les rues pleines de tables, avec les enfants qui déjeunent, cousins et enfants de cousins qui se retrouvent. Et il y a cette atmosphère, effectivement, cette fierté d'être de ce lieu, et pas d'un autre.
Est-ce que pour vous, c'est le pays de la fulgurance ?
Oui, et en même temps de la douceur. Ça, c'est aussi quelque chose de très fort. Dans l'Italie, c'est toujours ce contraste. C'est effectivement la guerre, parce que quand même, toutes ces villes, tous ces villages se sont quand même fait la guerre, et ses familles. Mais avec cette idée toujours qu'il fallait peut-être se "rédempter".
Peut-être en tout cas, montrer aussi que sa puissance ne pouvait passer que par la beauté, la beauté de la langue, la beauté des artistes. Et on cherchait la beauté, la beauté des musiciens. C'est un pays de musique, et donc il y a toujours ce contraste, et c'est fulgurant pour ça. Parce qu'il y a, à la fois, cette inscription dans l'éternité, d'un pays qui ne se renie pas. On ne renie pas les papes, on ne renie pas les Césars, on ne renie pas son histoire, et en même temps, l'inscription du moment, dans son exaltation la plus forte.
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