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Les ratés du climat (2/6) : la laborieuse ratification du Protocole de Kyoto
Dès la première COP à Berlin en 1995, les différents gouvernements se mettent d'accord pour rédiger un protocole qui impose des réductions d'émissions impératives aux pays industrialisés. Et pour cela, ils se donnent deux ans. Tout va assez vite à l'époque. "Le Protocole de Kyoto a été négocié finalement assez rapidement, en trois ans, se souvient Amy Dahan, historienne des sciences, directrice de recherches émérite au CNRS. Et il faut se rappeler qu'à cette époque, la négociation était seulement entre les pays historiquement développés : Europe, États-Unis, Canada, Australie. Et il était entendu que les pays de l'ex-Union soviétique étaient inclus. Mais évidemment, ils étaient en profonde désindustrialisation. Il s'agissait de se donner un certain nombre d'objectifs de décroissance des émissions des gaz à effet de serre pour l'année 2020 par rapport à l'année 1990. Et franchement, il s'agissait d'en faire le moins possible pour chacun, c’est-à-dire chacun essayer d'en avoir le moins possible."
Dès la COP2, à Genève en 1996, les gouvernements se mettent d'accord sur un élément très controversé : les mécanismes flexibles, qui seront la grande innovation du Protocole de Kyoto. A l'époque, ces mécanismes ne font pas du tout l'unanimité : il s'agit de s'appuyer sur le marché, plutôt que sur des limites strictes. On pourra acheter de quotas d'émissions si on est au-dessus de la limite fixée, et en revendre si on est en dessous. Il s'agissait de donner plus de flexibilité aux entreprises, et les Etats-Unis avaient fait de ces mécanismes la condition sine qua non de leur participation au futur Protocole. Ils étaient pourtant loin de faire l'unanimité, ces mécanismes. "Il faut savoir que les raisons pour lesquelles nous n'étions pas très favorables à ce qu'on appelle une coordination par les quantités, c'est qu'il n'y a pas de papa maman qui peut couper le gâteau en disant qu'il y a la distribution juste, explique l'économiste Jean-Charles Hourcade, qui a participé directement à la rédaction de quatre rapports du GIEC et a suivi de très près, à ce titre, les négociations du Protocole de Kyoto.
"Un ensemble d'industries qui se mettent d'accord, qu'on puisse négocier avec elles une baisse des émissions à telle date, ça marche. Mais pour un pays, vous rentrez dans des questions de justice qui sont absolument pas possibles à résoudre. Et donc on dit que ça ne marchera pas."
Jean-Charles Hourcade, économiste
Mais à la COP2 de Genève, le principe est acté. Lorsque les délégués arrivent à Kyoto en 1997, les grands principes du Protocole sont déjà décidés, et on imagine volontiers que la négociation finale aurait pu n'être qu'une formalité. Loin de là. C'est tout le contraire qui va se passer. L'administration américaine voulait un système de ce type-là, mais il n'avait pas le soutien du Congrès à ce moment-là, raconte Paul Watkinson, ancien chef de la délégation française dans les négociations climat. "Il faut se souvenir qu'avant la négociation de Kyoto en 2007, quelques mois auparavant, le Sénat a quand même voté une résolution à 98 contre zéro pour refuser tout protocole qui n'impliquait pas d'engagement aussi pour les grands émergents, dont la Chine, explique-t-il. C'est la résolution Byrd-Hagel, qui interdit la ratification américaine du Protocole de Kyoto. Et le 25 juillet 1997, la résolution est votée à l'unanimité du Sénat. "Donc, même si Al Gore a signé cet accord, c'était déjà connu que les Américains ne pouvaient pas présenter ça au Sénat pour ratification."
Le retrait américain décidé par George W. Bush
Malgré tout, le Protocole de Kyoto est signé dans la douleur, le 11 décembre 1997. Il prévoyait une double condition pour entrer en vigueur : être ratifié par 55 pays au moins, qui ensemble devaient représenter au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À l’époque, les Etats-Unis et la Russie représentent autour de 45% des émissions mondiales : il faut donc que l'un ou l'autre, et idéalement les deux, ratifie le Protocole pour qu'il entre en vigueur. Mais en mars 2001, George Bush annonce que les Etats-Unis se retirent du Protocole de Kyoto.
À ce moment-là, beaucoup pensent qu'il s'agit du dernier clou dans le cercueil du Protocole. Mais les Nations Unies vont tenter le tout pour le tout, et abattre leur dernière carte : on va organiser une COP de rattrapage, le COP 6bis, pour essayer de recoller les morceaux, à Bonn, six mois plus tard. Et malgré le retrait américain, ou peut-être grâce au retrait américain, la conférence est un succès : on parvient à se mettre d'accord sur plusieurs points essentiels, notamment les sanctions à appliquer pour ceux qui seraient défaillants. Et à la COP7 de Marrakech, en décembre, on finalise les dernières règles d'application. Cette fois-ci, tout est prêt : on se met même d'accord pour une date de mise en œuvre: le Protocole sera officiellement lancé à la grande conférence des Nations Unies sur le développement durable, prévue à Johannesburg en 2002, dix ans après le Sommet de la Terre de Rio.
On avait juste oublié un petit détail : il manquait encore des ratifications… Notamment celle du Japon, où le gouvernement subit des pressions importantes de l'industrie automobile pour ne pas ratifier le texte, alors que c'est au Japon qu'il a été signé ! Le Japon va finalement ratifier le Protocole en juin 2002, près de cinq ans après sa signature. Pareil au Canada : le pays va ratifier le texte dans la douleur en 2002, malgré la très forte opposition des provinces productrices de pétrole, comme l'Alberta. Mais le Canada ne parviendra jamais à atteindre ses objectifs, et se retirera du Protocole en catimini en 2011, pour éviter les sanctions.
Le 16 février 2005, enfin, le Protocole de Kyoto entre en vigueur, après ratification de la Russie. Le processus de ratification aura pris un peu plus de sept ans, sept longues années pendant lesquelles on aura perdu énormément de temps, mais aussi sept années pendant lesquelles le Protocole – et donc la coopération internationale en matière de lutte contre le changement climatique – allait perdre énormément de crédibilité. Car il était loin d'avoir réglé toute la question : il prévoyait une baisse d'émissions de 5,2% par rapport au niveau de 1990, mais uniquement pour les pays industrialisés. Et 1990, pour les pays du Sud, ça ne représente pas grand-chose. Le Protocole de Kyoto était en fait un Protocole assez expérimental, à durée limitée, qui n'imposait des réductions d'émissions qu'aux pays industrialisés. Et qui va souffrir, quasiment dès sa naissance, d'un manque de crédibilité.
"Les ratés du climat", un podcast franceinfo de François Gemenne en collaboration avec Pauline Pennanec'h, réalisé par François Richer, mis en ondes par Thomas Coudreuse. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.
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