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Vrai ou faux
L'État d'Israël ne livre-t-il que 8% de l'eau consommée à Gaza, comme l'affirme Pierre-Henri Dumont ?
Le blocus mis en place par Israël envers la bande de Gaza inquiète les instances internationales. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a martelé mercredi 18 octobre à Strasbourg que "suspendre l'approvisionnement en eau d'une communauté assiégée est contraire au droit international". "Nous ne pouvons pas accepter cela", dit-il, comme l'ont rapporté plusieurs médias dont Le Figaro .
Le député Les Républicains du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont lui a répondu avec des chiffres sur le réseau social X, anciennement Twitter. "En temps normal, écrit-il, Israël ne livre que 8% de l'eau consommée à Gaza. Le reste est livré par l'Égypte ou produite par l'usine de dessalement de Gaza. Usine qui ne peut plus tourner, faute de carburant. Carburant qui a été livré par l'Organisation des Nations unies (ONU) mais volé par le Hamas pour usage militaire." Vrai ou faux ?
En temps normal, Israël ne livre que 8% de l’eau consommée à Gaza.
— Pierre-Henri Dumont (@phdumont) October 18, 2023
Le reste est livré par l’Egypte ou produite par l’usine de dessalement de Gaza.
Usine qui ne peut plus tourner, faute de carburant. Carburant qui a été livré par l’ONU mais volé par le Hamas pour usage militaire https://t.co/zwUDtuTApk
Quelque 7% de l'eau disponible en comptant l'eau non-potable
Il y a deux parties, dans le message de Pierre-Henri Dumont, d'un côté les chiffres de l'approvisionnement en eau dans la bande de Gaza, de l'autre une accusation de pillage de carburant par le Hamas. Commençons par l'approvisionnement en eau.
Les informations données par Pierre-Henri Dumont sont partiellement vraies concernant les livraisons d'Israël et partiellement fausses pour le reste. Contacté par franceinfo, l'élu de droite explique avoir obtenu ces chiffres de représentants du gouvernement israélien pendant sa visite sur place. Il fait partie de la délégation parlementaire d'urgence française qui s'est rendue en Israël après l'attaque du Hamas du 7 octobre dernier.
D'un certain point de vue, ses chiffres se rapprochent de ceux qui sont répertoriés dans les tableaux de l' Autorité palestinienne de l'eau (APE, en anglais), une autorité publique créée en 1995 par les accords d'Oslo faisant office de régulateur de l'eau et de l'assainissement dans tous les territoires palestiniens. Selon elle, Gaza a acheté 14,4 millions de mètres cubes d'eau potable à Mekorot, la compagnie israélienne de l'eau, en 2021, soit près de 7% de la totalité de l'eau disponible cette année-là à Gaza (214,4 millions de mètres cube), mais cela prend aussi en compte l'eau qui n'est pas potable et ne peut donc être sereinement consommée par les Gazaouis.
Quelque 13% de l'eau potable et réservée au secteur domestique
Les instances internationales observent la situation depuis un autre point de vue, comme en atteste ce document de la Banque mondiale (en anglais) et plusieurs articles relayant la position des Nations unies. Elles comparent la quantité d'eau livrée par Israël non pas à la quantité globale d'eau disponible mais à l'eau qui est uniquement réservée au secteur domestique, qui est donc bue ou utilisée dans les maisons notamment, en laissant de côté l'eau consommée par le secteur agricole et l'eau qui n'est pas potable.
De ce point de vue-là, l'eau israélienne pesait pour 13% de l'eau disponible dans la bande de Gaza : 14,4 sur 113,3 millions de mètres cubes d'eau disponible pour le secteur domestique, selon les calculs de l'APE. C'est donc plus que ce qu'affirme Pierre-Henri Dumont, même s'il est vrai que cela reste une assez petite partie de l'eau réservée au secteur domestique.
En revanche, contrairement à ce qu'affirme l'élu, aucune trace de livraison d'eau depuis l'Égypte n'est recensée par l'APE. La très grande majorité de l'eau disponible à Gaza, secteur domestique et secteur agricole confondus, est issue des puits d'extraction des eaux souterraines (192,5 millions de mètre cube, près de 90%). Cette eau est en grande partie puisée dans l'aquifère côtier de la bande de Gaza – un aquifère qui va de l'Égypte à Israël en longeant la mer Méditerranée mais les puits sont bien à Gaza et non dans les pays voisins. Cependant, quasiment toute cette eau puisée dans l'aquifère côtier ne remplit pas les critères de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour être consommable. Les derniers 7,5 millions de mètres cubes d'eau proviennent des usines de dessalement qui permettent de rendre l'eau de mer potable (3%).
Les Gazaouis boivent de l'eau polluée dans les puits
Le blocus israélien n'a donc un impact direct "que" sur 7% ou 13% de l'eau disponible à Gaza, selon le point de vue adopté. Une petite partie mais une partie néanmoins non-négligeable dans un territoire qui est déjà constamment en quasi pénurie d'eau. En 2021, seulement la moitié des besoins en eau des Gazaouis dans le secteur domestique ont pu être satisfaits en réalité, selon l'APE. Les habitants avaient besoin de 117,1 millions de mètres cubes d'eau cette année-là, mais seulement 113,3 étaient disponibles et quasiment la moitié de cette eau a été perdue dans des canalisations défectueuses ou pour d'autres raisons. Au final, les Gazaouis n'ont consommé que 64,5 millions de mètres cubes d'eau en 2021, 52,6 millions de mètres cubes leur ont manqué.
Le blocus israélien a également des conséquences indirectes. D'abord, Israël ne va plus livrer de bouteilles d'eau pour compenser le déficit d'eau habituel. Ensuite, le matériel pour déparer les infrastructures détruites lors des bombardements ne peut être acheminé. Enfin, il manque du carburant pour faire fonctionner les infrastructures habituelles du réseau d'eau comme les usines de dessalement mais aussi les usines de traitement des eaux usées qui permettaient de garder l'eau des puits saine. Pour ne pas mourir de soif, "les gens sont forcés de boire de l'eau impropre pas à la consommation, puisque l'eau potable n'est tout simplement pas disponible", selon Philippe Lazzarini, le commissaire général de l' Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA, en anglais). "Nous sommes au bord d'une crise sanitaire majeure."
L'office des Nations unies dément tout vol de carburant
Le manque de carburant est donc l'une des raisons pour laquelle les usines ne fonctionnent pas, comme l'a aussi écrit Pierre-Henri Dumont. Néanmoins, les accusations qu'il porte sur le Hamas ne sont pas étayées par les faits.
En disant que le "carburant qui a été livré par l'ONU [a été] volé par le Hamas pour usage militaire", le député LR relaie une information qui a été démentie. Plusieurs médias ont affirmé que l'UNRWA avait accusé le Hamas de lui avoir volé 24 000 litres de carburants. Or, l'UNRWA n'a jamais accusé le Hamas et a démenti tout vol depuis.
Selon ces médias, l'UNRWA a publié un message sur X, lundi 16 octobre, affirmant qu'un "groupe de personnes avec des camions se faisant passer pour des représentants du ministère de la Santé ont pris du carburant et des équipements médicaux de l'agence basée dans la ville de Gaza". Tweet supprimé avant que franceinfo ne puisse le consulter.
Le coordinateur des activités gouvernementales israéliennes dans les territoires (Cogat) a pris une capture d'écran du message et a affirmé que "le Hamas avait volé 24 000 litres de carburant dans un hôpital à Gaza". L'accusation visant le Hamas provient donc du Cogat et non de l'office des Nations unies.
The images circulating on social media were of a movement of basic medical supplies from the UNRWA warehouse to health partners. [2/2]
— UNRWA (@UNRWA) October 16, 2023
Moins de quatre heures après, l'UNRWA a supprimé son tweet et en a publié un autre pour démentir tout vol. "L'UNRWA souhaite confirmer qu'aucun pillage n'a eu lieu dans aucun de ses entrepôts dans la bande de Gaza, écrit l'office . Les images circulant sur les réseaux sociaux montrent le déplacement d'équipements médicaux depuis un entrepôt de l'UNRWA vers des partenaires de santé."
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