Vrai ou faux
Autisme, "lobby trans"... de plus en plus de fausses informations visent la transidentité

La désinformation ciblant la communauté LGBT est l'une des plus présentes en Europe. Les personnes trans sont particulièrement ciblées.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Les résultats d'études réalisées dans le but de mieux prendre en charge les personnes trans et les personnes autistes sont parfois instrumentalisés par les personnalités politiques (photo d'illustration). (EONEREN / E+)

C'est un extrait qui circule beaucoup sur les réseaux sociaux, visionné plus de deux millions de fois sur X. Le professeur Didier Raoult est interviewé, mi-septembre, par Éric Morillot, un journaliste passé par TV Libertés, une chaîne d'extrême droite, dans son émission Les Incorrectibles. Le professeur controversé depuis la pandémie de Covid-19 y est interrogé sur ce qu'il pense du "wokisme", terme employé, majoritairement par leurs détracteurs, pour désigner péjorativement ceux qui luttent contre les discriminations racistes, sexistes ou homophobes.

Didier Raoult affirme alors que, "si vous regardez, dans les transgenres [les personnes en désaccord avec le genre qui leur a été donné à la naissance], vous avez entre 40% et 50% d'autistes". Sauf que c'est faux, ce n'est pas possible d'affirmer ça comme ça, sans aucune nuance.

Une estimation à relativiser

L'estimation donnée par Didier Raoult se retrouve dans deux études. La dernière est parue en mars (en anglais). Elle a cherché à évaluer la présence de troubles du spectre autistique chez les mineurs transgenres ou non-binaires, dans une clinique spécialisée dans l'autisme. Elle a en effet conclut que, dans son panel, "près de la moitié des jeunes trans ont été diagnostiqués autistes".

Sauf que cette étude, bien que très sérieuse, ne peut pas être citée comme preuve absolue que la moitié des personnes trans sont autistes, d'abord parce qu'elle ne parle que des mineurs de 5 à 18 ans, et surtout parce qu'elle a porté sur un échantillon bien trop petit pour être représentatif : une quarantaine d'enfants trans et une soixantaine d'enfants cisgenres (en accord avec le genre qui leur a été donné à la naissance).

L'autre étude, publiée en 2019, porte sur des mineurs, encore une fois, qui ont consulté dans la clinique spécialisée sur le genre de Tavistock, en Angleterre. La moitié de ces enfants présentaient également des traits de caractère susceptibles de faire d'eux des personnes autistes. Chiffre repris dans un rapport pour l'association anglaise anti-trans Transgender Trend, souvent cité par les personnes qui souhaitent freiner la prise en charge des mineurs transgenres. Mais là encore, l'échantillon n'était pas représentatif et, surtout, il s'agit uniquement d'enfants qui ont consulté la clinique, mais tous n'ont pas mené un parcours de transition de genre et tous ne se définissaient pas comme trans ou non-binaires à l'issue de leurs consultations. 

Aucune estimation ne peut être prise pour argent comptant

Plusieurs autres études se sont intéressées au sujet ces dernières années et elles ont toutes rencontré ce même problème de trouver un échantillon de taille suffisante pour qu'il puisse être représentatif. Or, la tâche est difficile parce qu'il y a peu de personnes trans.

Cependant, les autres études ont des estimations beaucoup moins hautes que les 50% évoqués par Didier Raoult. L'une d'elles, datant de 2010 (en anglais), portant aussi sur des mineurs dans une clinique spécialisée dans l'identité de genre, a trouvé que près de 8% des enfants et adolescents admis dans cette clinique présentaient des troubles autistiques. D'autres travaux publiés en 2022 ont conclu à 11% des personnes trans qui seraient autistes.

Aucune de ces estimations ne fait loi et ne peut être prise pour argent comptant en raison des problèmes d'échantillon évoqués, mais aussi parce qu'elles se sont toutes heurtées au même problème majeur, à savoir la difficulté de définir précisément l'autisme pour pouvoir l'évaluer. Toutes les études ont des définitions différentes, si bien qu'aucune ne parle exactement de la même chose. Certaines incluent seulement les diagnostics d'autisme sévère, d'autres, bien plus larges, incluent des traits de caractère qui sont souvent présents aussi en cas d'autisme. Or, il est possible d'être hypersensible, hyperactif ou d'avoir des difficultés à sociabiliser, sans pour autant être autiste.

Finalement, tout ce qu'il est possible d'affirmer, c'est qu'il y a une prévalence de l'autisme chez les personnes trans. Selon l'étude la plus globale, avec le plus grand échantillon et la plus grande représentativité, publié en 2020 dans Nature, il y a entre trois et six fois plus d'autisme chez les personnes trans que chez les personnes cisgenres, selon les critères qui sont observés. L'étude n'explique pas cette prévalence et ne dit jamais qu'il y a un lien de causalité entre les deux. C'est une coexistence de l'autisme et de la transidentité. 

Ce qu'il est important de préciser, c'est que toutes ces études ont été réalisées dans le but de mieux prendre en charge les personnes trans et les personnes autistes. Interviewés par The Transmitter , une revue spécialisée dans les neurosciences à destination des professionnels, des chercheurs qui ont publié des travaux sur le lien entre autisme et transidentité dénoncent l'instrumentalisation de leurs trouvailles par les personnalités politiques. Ils estiment que leurs recherches sont dévoyées, quand elles sont utilisées pour promulguer des lois qui empêchent les transitions de genre et qui diminuent les droits des personnes trans.

La désinformation très présente en Europe

L'utilisation de l'estimation de 50% d'autisme chez les personnes trans de cette façon aussi peu nuancée, pour parler ensuite d'une "mode", terme employé par Didier Raoult, rappelle à quel point la communauté trans est la cible de désinformation. Plus largement, la désinformation ciblant la communauté LGBT est "une des plus présentes et constantes dans l’Union européenne", selon un rapport de l'Observatoire européen des médias numériques paru l'an dernier. "Les fausses informations à ce sujet deviennent de plus en plus insidieuses, avec des propos infondés qui incitent souvent à la haine contre les minorités, les lois et les institutions", continue le rapport. Si cela peut éventuellement, parfois, être le fait d'une certaine méconnaissance, il s'agit principalement d'homophobie et de transphobie.

L'observatoire note que les fausses informations sur un pseudo-lobby LGBT, et notamment un pseudo-lobby trans, qui voudraient convertir les enfants notamment en intervenant dans les écoles sont répandues en Europe. En France, elles ont été particulièrement relayées par Éric Zemmour, candidat Reconquête! à la dernière élection présidentielle. Des fausses informations circulent également sur la prise en charge des mineurs trans, avec des personnalités politiques qui dénoncent des opérations à tout va, alors que ce n'est pas le cas, comme le relèvent plusieurs articles approfondis de Médiapart à ce sujet (ici et ici). Ou encore sur les sportives trans qui seraient favorisées par rapport aux sportives cisgenres, alors que ce n'est pas le cas non plus, comme l'a déjà expliqué le Vrai ou Faux.

Cela rappelle aussi le cas de ces deux femmes condamnées au début du mois de septembre pour diffamation envers Brigitte Macron, car elles affirmaient que la Première dame était une femme transgenre. Cette histoire n'est pas qu'un fait divers. Ces femmes ont fait ce qui s'appelle de la "transvestigation", comme le rapporte Conspiracy Watch, qui lutte contre la désinformation. Une pratique qui consiste à dire que les femmes puissantes sont des personnes trans, en fouillant dans leurs photos passées, en zoomant et en jugeant leur physique. L'ancienne Première dame américaine Michelle Obama, la gymnastique américaine Simone Biles, la chanteuse Lady Gaga ont aussi été accusées. Le seul but de l'opération est de les décrédibiliser. C'est une pratique à la fois transphobe et misogyne.

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