Le vrai du faux. Les enfants vivant à côté de centrales nucléaires ont-ils plus de leucémies que les autres, comme l'affirme Aymeric Caron ?
Le député écologiste radical Aymeric Caron a laissé entendre, en s'appuyant sur une étude de l'Inserm, que les centrales nucléaires pouvaient avoir des conséquences sur la santé des enfants, mais il a été contredit par l'élu Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Qui a raison ?
"Habiter à côté d'une centrale nucléaire, ça ne fait pas rêver", a déclaré Aymeric Caron en commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale jeudi 2 mars. "Ça se comprend", continue le député Révolution écologique pour le vivant (REV) en donnant plusieurs raisons dont celle-ci : "Si on a lu cette étude de l'Inserm de 2012 qui évoque un nombre de leucémies infantiles supérieur à la moyenne nationale dans un rayon de 5 km autour des centrales."
Quelques minutes plus tard, un député Rassemblement national vient le contredire. Jean-Philippe Tanguy assure que "cette étude de l'Inserm dit strictement le contraire". Il paraphrase une reprise de l'étude dans Libération en 2012 : "Aucune association significative n'a été observée entre le nombre de cas de leucémie recensés et la distance séparant le lieu de résidence et le site nucléaire."
Fier de son fact-checking, le député RN l'a finalement publié sur Twitter une semaine plus tard, épinglant au passage Aymeric Caron qu'il accuse de "manipulations" et d'être "coutumier des intox anti-nucléaires".
Je dénonce les manipulations d’@CaronAymericoff.
— Jean-Philippe Tanguy Ⓜ️ (@JphTanguy) March 7, 2023
Coutumier des intox anti-nucléaires, la NUPES a prétendu que l’INSERM avait démontré une hausse des leucémies des enfants vivant près des sites nucléaires.
En fait, l’étude dit strictement l’inverse et c’est @sdnfr l’enfumeur ! pic.twitter.com/MbK6OweMPb
La réponse de l'écologiste radical ne s'est pas fait attendre. Il a dénoncé, quant à lui, "l'incompétence" de son adversaire, restant sur ses positions. Lequel des deux dit vrai ?
Puisque @JphTanguy veut dénoncer, je dénonce son incompétence.
— Aymeric Caron (@CaronAymericoff) March 7, 2023
L’étude que je cite dit exactement ce que je rapporte.
« Nous avons été plutôt surpris de retrouver, lors de l'étude des données sur la période 2002-2007, un excès significatif d'incidence des leucémies aiguës chez… https://t.co/167yZmttRQ
Deux fois plus d'enfants atteints de leucémie près des centrales nucléaires...
En fait, les deux élus se concentrent chacun sur un seul aspect d'une même étude de l'Institut national de santé et de la recherche médicale (Inserm) (en anglais). Les chercheurs ont étudié les lieux d'habitation des enfants atteints de leucémie, ils les ont comparés, et ils se sont rendu compte qu'entre 2002 et 2007, 14 enfants avec une leucémie vivaient à moins de cinq kilomètres d'une centrale nucléaire, alors qu'il aurait dû y en avoir deux fois moins, selon leurs estimations. Ils concluent donc, comme l'évoque Aymeric Caron, qu'il y a un "possible excès de risque" à vivre près d'une installation nucléaire.
... mais le lien de causalité n'est pas établi
Néanmoins, ce que ne dit pas le député de la Nupes, c'est que l'étude n'est pas parvenue à prouver que la proximité des centrales était responsable de ces leucémies. Aucun lien de causalité n'a été trouvé, et c'est ce que retient Jean-Philippe Tanguy. "Le lien avec les très faibles radiations ionisantes émises par les centrales en fonctionnement normal ne peut pas être établi", déclarait à Libération la Dr Jacqueline Clavel, qui avait dirigé l'étude, après sa publication en 2012. Il s'agit d'une simple corrélation sans explication ni faute, à ce stade.
Cependant, le député Rassemblement national évacue les dernières conclusions de l'étude. L'Inserm préconisait de continuer les analyses, d'envisager d'autres facteurs que les simples émanations gazeuses et les rayonnements ionisants des centrales, comme les déménagements éventuels des familles, les pesticides, les historiques médicaux des enfants ou des parents avant ces leucémies, et de comparer aussi les données et les méthodologies entre les pays. Une étude allemande avait eu des conclusions similaires en 2005, mais elle avait été très critiquée outre-Rhin, sans parvenir à faire l'unanimité ni chez les scientifiques ni chez les commentateurs.
Les recherches continuent
Onze ans plus tard, les connaissances scientifiques en sont toujours au même point. Les effets de l'exposition à la radioactivité sont pourtant suivis de près. En 2021, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) publiait un rapport à ce sujet, portant sur les années 2014 à 2019 et ses observations sont claires : on est bien davantage exposé à des rayonnements ionisants en passant une radio ou un scanner qu'en vivant à côté d'une centrale.
"La dose reçue peut varier d’environ 0,1 millisievert (mSv) pour une radio pulmonaire à 15 mSv pour un scanner abdomino-pelvien ou un TEP-scanner", peut-on y lire, alors que "pour les personnes résidant dans un rayon de 10 km autour [d'une installation nucléaire], une dose de 1 à 10 µSv/an (soit 0,001 à 0,01 mSv/an) est retenue suivant le site". Une simple radio des poumons équivaut à dix ans de vie à côté d'une centrale nucléaire, si on prend les estimations maximales (0,01 mSv/an), une radio des lombaires équivaut à 100 ans, un scanner du thorax à 1 000 ans.
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