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Le rendez-vous du Particulier. L'épargne en déshérence

L'épargne en déshérence est un pactole d'une dizaine de milliards, mais c'est souvent un parcours du combattant, pour les ayants-droits, de récupérer l'argent, malgré la loi Eckert de 2014.

Article rédigé par franceinfo - Camille Revel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Récupérer les avoirs en déshérence peut être un parcours du combattant pour les ayants-droit. (GETTY IMAGES)

Cinq ans après la loi Eckert de 2014, le compte n’y est pas, il y a toujours des milliards en déshérence et des parlementaires veulent lancer une mission.  

Frédérique Schmidiger, du mensuel Le Particulier.  Oui il y a eu d’indéniables progrès depuis la loi Eckert de 2014. Mais plus on cherche ces sommes et plus on en trouve. Avec de nouveaux gisements, comme par exemple l’épargne retraite supplémentaire. Vous savez, ce sont notamment ces produits souscrits par les employeurs et auxquels cotisent les salariés, sans en avoir toujours conscience. Du coup, beaucoup oublient, quand ils prennent leur retraite, de recontacter l’assureur et de réclamer leur dû.

Cinq ans après la loi, on se rend donc compte qu’on n’a toujours pas une idée précise des sommes en jeu et qu’il faudrait accélérer la restitution des fonds à leurs légitimes propriétaires. C’est ce que pensent plusieurs parlementaires qui voudraient remettre un peu de pression sur les assureurs et les banques. On attend une proposition de loi portée par la députée UDI d’Indre et Loire, Sophie Auconie, qui estime qu’on a laissé assez de temps aux professionnels et que cet argent serait un bon moyen de restituer du pouvoir d’achat aux français.  

Quels sont les sommes en jeu ?

Au moins une dizaine de milliards. Il y a un peu plus de 5 milliards qui ont déjà été transférés à la Caisse des dépôts et consignation. S’y ajoutent tout ce qui dort encore chez les banques et les assureurs. Rien que pour l’épargne retraite supplémentaire, on a estimé à 13 milliards les sommes non réclamées après 62 ans. Dont une bonne part est sans doute en déshérence.  

Comment ça s’explique ?

Chaque année, les professionnels doivent interroger le registre national d’identification des personnes physiques, tenu par l’Insee, pour détecter les décès. Il suffit d’une erreur sur l’état civil de leurs clients pour que le résultat soit faussé. Il est fondamental que ces données soient fiables et à jour.

Il faut que les professionnels mettent les moyens nécessaires pour y veiller, tout au long de la relation avec leur clientèle.  Autre source de flou : les banques, contrairement aux assureurs, n’ont pas à remettre à l’ACPR un rapport sur le suivi annuel des comptes inactifs. La Cour des comptes a bien recommandé d’imposer ce rapport, mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’y est opposé. Ce qui est regrettable sur un sujet qui exige un maximum de transparence.

Autre enjeu : le stock d’épargne salariale qui dort dans les coffres...

Effectivement, les salariés oublient aussi leur épargne salariale, en général entre les mains d’établissements bancaires. Il s’agit d’argent versé dans le cadre de la participation et de l’intéressement, bloqué sur un compte ou un plan d’épargne entreprise, qu’on perd de vue parfois quand on change d’employeur. Or, bien souvent, les banques n’ont pas les coordonnées à jour des salariés et ont donc, du mal à les recontacter. L’ACPR, l’autorité qui contrôle les secteurs de la banque et de l’assurance, s’emploie aujourd’hui à évaluer ces sommes.  

Comment l’épargne termine-t-elle dans les caisses de la CDC ?

La loi Eckert impose que les fonds sur des comptes inactifs ou des assurances vie en déshérence soient transférés à la Caisse des Dépôts et Consignation après 10 ans (ou 3 ans après le décès s’il s’agit de comptes bancaires). La Caisse les gère et les rémunère avec un intérêt de 0,3% par an.   -

Et là, ça peut tourner au parcours du combattant pour récupérer cet argent ?   La Caisse des Dépôts n’a pas à faire de recherche pour rendre l’argent. La mission qui lui a été assignée : c’est d’informer le public que de l’argent lui a été transféré et de permettre à son propriétaire - ou à ses héritiers -  de le réclamer.

Ce qu’elle fait via une plateforme accessible en ligne, ciclade.caissedesdepots.fr. Sur les 5,1 milliards d’épargne qui lui ont déjà été transférés, moins de 3% ont été restituées. Il y a pourtant eu 1,5 million de connexions sur Ciclade mais à peine 10% ont débouché sur une demande de restitution.

Pourquoi si peu ?

Sans doute en partie parce que l’outil de la Caisse des dépôts ne parvient pas à faire le lien entre les personnes qui l’interrogent et les données communiquées par les professionnels, lorsque l’argent a été transféré. Des données parfois tronquées ou erronése, transmises par certains assureurs, dans la précipitation des premiers transferts en 2016. Quant au délai pour récupérer son argent, il faut être patient et comptez en moyenne 5 mois. Un délai en baisse. Pour un dossier simple, comme un livret A ouvert à la naissance d’un enfant et qu’on a oublié, on descend sous 90 jours.

Mais effectivement, pour certains, c’est un véritable parcours du combattant. Une de nos lectrices en a fait l’amère expérience. Sa mère avait souscrit, par l’intermédiaire de sa banque, des bons aux porteurs. C’est du moins ce qu’affirme aujourd’hui l’assureur de la banque, sans que notre lectrice n’ait jamais pu en obtenir la preuve. Après plus de 2 ans, elle est dans une impasse et ne peut pas récupérer l’argent faute d’avoir retrouvé l’original des bons. Ces bons posent d’ailleurs un gros problème sur lequel il faudrait que le législateur se penche.

Et on a des doutes aussi sur le montant des fonds restitués ?

On peut faire des réclamations ou là aussi c’est un casse tête... Des doutes en particulier sur les assurances-vie. Quand vous récupérez l’argent qui aurait dû vous revenir au décès du propriétaire de l’assurance, soit auprès de la Caisse des dépôts, soit auprès de l’assureur, vous n’avez aucun moyen de vérifier qu’on vous rend le bon montant, surtout si la personne est décédée depuis des années. Les assureurs, au nom de la confidentialité, refusent de donner aux bénéficiaires le décompte de l’argent placé et de la rémunération versée depuis le décès. Vous pouvez évidemment faire une réclamation mais le seul vrai moyen d’obtenir des chiffres précis c’est de passer par les tribunaux. Ce qu’évidemment personne ne fait, compte tenu des délais et du coût d’une action en justice.   

Et cet argent, il peut définitivement finir dans les caisses de l’Etat, et là, c’est perdu ?

Oui après 30 ans, l’argent en déshérence revient à l’Etat. On ne peut plus le réclamer.   

Quels conseils peut-on donner aux auditeurs ?    

Gardez le contact avec votre assureur et votre banque et dites à vos proches si vous avez souscrit une assurance vie, une assurance décès ou obsèques. Et si vous vous demandez, lorsqu’une personne décède, si elle vous a désigné comme bénéficiaire de contrats ou si elle a souscrit un contrat obsèques, sachez que vous pouvez interroger l’Agira (agira.asso.fr), un organisme mandaté par tous les assureurs. Même si vous n’avez droit à rien, cette démarche a le mérite d’avertir les assureurs que leur client est mort. A partir de ce moment, si les contrats existent, les professionnels doivent enclencher la recherche des bénéficiaires. Vous l’aurez compris, le meilleur conseil, c’est de prendre les choses en main et de ne pas rester passif.

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