Le traitement éditorial de la situation en Nouvelle-Calédonie

Comment raconter les évéments dramatiques en Nouvelle-Calédonie ? Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction, répond à Emmanuelle Daviet qui relaie les questions des auditeurs.
Article rédigé par Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La population fait la queue à Nouméa, pour s'approvisionner, alors que les émeutes ont secoué la ville. (DELPHINE MAYEUR / AFP)

Emmanuelle Daviet : Depuis le début de la semaine, la Nouvelle-Calédonie est plongée dans une crise sécuritaire, identitaire et politique, sur fond de révolte contre une réforme constitutionnelle controversée. Des auditeurs s’interrogent sur le traitement médiatique de ces événements. Certains regrettent que les journalistes privilégient l’évocation des violences commises plutôt que les raisons de la colère. Florent Guyotat, Quelle a été votre approche éditoriale pour évoquer la situation ?

Florent Guyotat : Notre approche, avant d’évoquer les raisons du conflit, c’est d’abord celle des faits. La réalité, c’est que ces violences en Nouvelle-Calédonie sont les plus importantes depuis les années 1980. Avant d’analyser les causes, il faut expliquer ce qui se passe. Mercredi matin, à la rédaction de franceinfo, nous avons pris conscience que la situation dégénérait. On a entendu notamment à l’antenne le Haut-Commissaire de la République déclarer qu’il perdait le contrôle de certaines zones. Il dit à ce moment-là que l’aéroport est fermé parce que tout simplement, il n’a plus les moyens d’en assurer la sécurité. Notre première mission, avec nos confrères journalistes de la chaîne publique Nouvelle-Calédonie La Première, est de raconter tout cela.

Ces derniers interviennent à l’antenne et, à Paris, nos journalistes recueillent des témoignages à distance par téléphone, comme celui de Pablo, un habitant de la banlieue de Nouméa : "On entend les coups de feu, ça pète de partout, les gens veulent se protéger et c’est normal. C’est une réaction humaine. En bas de chez moi, un barrage s’est monté à base de palettes, les gens sortent des frigos, des machines à laver, des blocs de pierre et ils sont armés. Des cocktails Molotov sont en train de se préparer. Ce sont des civils, des pères et des mères de famille, des gens qui habitent dans un quartier normalement calme." Voilà pour le témoignage diffusé mercredi de ce médiateur culturel au micro de Sandrine Etoa. Nous avons également sollicité hier matin vendredi, un médecin, Thierry De Greslan. Il préside la commission médicale de l’hôpital Gaston-Bourret de Nouméa.

Autre témoignage, celui de Thierry de Greslan, président de la commission médicale d’établissement du centre hospitalier territorial de Nouméa : "La situation est rendue compliquée par l’inaccessibilité de l’hôpital du fait des barrages autour. Vraiment de grandes difficultés à faire venir nos patients, nos soignants. Une cinquantaine de dialysés n'ont pas pu accéder à leur dialyse. Je tiens souligner que nos équipes sont absolument extraordinaires, ici, sur place. Beaucoup de personnes ont bravé les barrages pour venir travailler et soutenir les équipes en sous effectifs et déjà très très fatiguées depuis lundi."

Des témoignages, certes, mais les auditeurs demandent si vous avez aussi fait l’effort d’expliquer les raisons de la colère ?

Oui, dans un deuxième temps, car c’est capital de ne pas en rester aux faits et d’expliquer le contexte. Nous proposons à l’antenne des rubriques qui s’appellent Le tuto ou Expliquez-nous avec, à chaque fois, un journaliste de la rédaction qui fait le point sur un thème précis en étant le plus pédagogique possible pour apporter tout simplement des clés de compréhension à nos auditeurs. C’est ce que nous avons fait toute au long de la semaine. Nous avons expliqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, la crise des années 1980, les Accords de Matignon. Nous avons proposé des éclairages plus actuels sur l’économie de la Nouvelle-Calédonie, le niveau de vie sur place, le débat autour de l’exploitation du nickel. Et évidemment, nous avons détaillé le débat sur la réforme du corps électoral, qui est l’une des raisons directes du conflit actuel.

Voici l'extrait d’un reportage d’Elia Bergel, du service politique, diffusé dès mardi sur franceinfo : "L’élu Renaissance de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf, refuse de reculer sur cette réforme qui ouvrira le vote à certains habitants exclus des élections locales. 'Retirer le texte, dit-il, c’est donner raison à ceux qui cassent, à ceux qui pillent et à ceux qui menacent. Si vous choisissez la violence, vous retirez le texte. Si vous choisissez la démocratie, vous maintenez le texte.' Les Insoumis demandent le retrait pur et simple du projet de loi, car la situation peut dégénérer selon le député Bastien Lachaud pour qui 'les risques de guerre civile sont posés en Nouvelle-Calédonie. Il suffit d’une volonté du gouvernement de passer en force pour que le pays s’embrase'."

Tous ces reportages et ces tutos, vous pouvez, je vous le rappelle, les retrouver sur notre site internet franceinfo.fr.

À propos des interlocuteurs, des experts sollicités à l'antenne, avez-vous fait intervenir une diversité de voix pour assurer l’équilibre et l’objectivité dans la présentation des faits ?

Même si on travaille à distance en raison de la fermeture de l’aéroport de Nouméa, notre volonté est de préserver le pluralisme en donnant la parole à toutes les parties : les loyalistes, les indépendantistes et aussi des gens qui, parfois, sont un peu entre les deux avec des positions plus nuancées. Dès que nous le pourrons, notre objectif est d'envoyer une équipe sur place en Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui et je voudrais en profiter pour remercier, encore une fois, nos confrères de Nouvelle-Calédonie La Première qui nous fournissent des reportages et réalisent des interventions en direct à l’antenne.

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