L'arrestation de Boualem Sansal en Algérie
L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, en lutte contre le fondamentalisme religieux, et critique du pouvoir algérien, a été arrêté à l’aéroport d’Alger, le 16 novembre dernier. La justice algérienne n’a pas communiqué les motifs pour lesquels il était poursuivi. De son côté, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a estimé jeudi que la détention sans fondement sérieux d’un écrivain, n’est jamais acceptable.
Emmanuelle Daviet : Frank Mathevon, comment avez-vous évalué l’importance de couvrir cette arrestation, demandent des auditeurs ?
Franck Mathevon : C’est un sujet important pour plusieurs raisons. D’abord parce que Boualem Sansal, c’est un écrivain qui compte, franco-algérien, puis son premier livre, Le Serment des barbares, c’est un nom important de la littérature francophone. Ensuite, son cas est emblématique des relations très difficiles entre la France et l’Algérie. Il a été arrêté, d’après son avocat, pour atteinte à la sûreté de l’Etat. On n’en sait pas beaucoup plus. Mais Sansal a souvent critiqué les dirigeants algériens. Il a aussi tenu des propos récents sur les frontières de l’Algérie qui ont été redessinées par la France, au détriment du Maroc pendant la colonisation.
Tout ça dans un contexte de tension au plus haut niveau entre Paris et Alger, depuis notamment qu’Emmanuel Macron a pris, cet été, le parti du Maroc sur le territoire contesté du Sahara occidental. Donc, tensions entre les deux pays et résultat, l’arrestation de Boualem Sansal a suscité beaucoup de réactions diplomatiques, politiques, culturelles. Donc, pour toutes ces raisons, ça nous semble essentiel d’accorder une place importante à cette affaire sur franceinfo.
Autre question des auditeurs : quels angles avez-vous privilégiés, pour traiter cette affaire ? La défense de la liberté d’expression ou bien les réactions des milieux politiques ou littéraires ?
Il faut bien comprendre qu’on fait un travail de journalistes. Donc on relate d’abord les faits, on s’efforce de décrypter, de donner des clés de compréhension. En clair, ce n’est pas à nous de dire à Alger, "vous avez porté atteinte à la liberté d’expression". En revanche, on a rapporté les nombreuses réactions de personnalités, de responsables politiques, d’associations qui défendent la liberté d’expression dans cette affaire.
Et puis, notre rôle, c’est aussi de donner le point de vue de l’Algérie. C’est d’ailleurs difficile parce qu’on n’a pas de journalistes actuellement en Algérie, on a fait des démarches pour obtenir des autorisations, au moins pour un journaliste pigiste qui travaillerait en free-lance. Mais ça n’a pas fonctionné, et on ne parvient même plus à aller en Algérie, pour des missions courtes. Ça complique beaucoup notre travail avec ce pays.
Pour revenir juste à la question des angles dans cette affaire, je pense qu’il y en a plusieurs : les tensions diplomatiques, l’angle juridique, la mobilisation du monde culturel, c’est vrai, l’impact politique aussi d’une telle affaire.
La ministre déléguée chargée des Français à l’étranger, Sophie Primas, a souligné mardi la nécessité de la discrétion diplomatique dans cette affaire. Comment tenez-vous compte de cet aspect ? Le rôle de la diplomatie influence-t-il la manière dont les journalistes doivent aborder ce type d’informations sensibles ?
C’est rare, mais il peut arriver que la diplomatie française nous invite à la plus grande discrétion. C’est le cas par exemple sur des affaires d’otages à l’étranger, sur des détentions de Français dans certains pays, comme en Iran. On peut nous demander de ne pas révéler l’identité d’un Français détenu, pour des raisons de sécurité. On garde notre liberté, évidemment, mais en général, si la sécurité est en jeu, on fera très attention à ce qu’on dit.
Là, dans l’affaire Sansal, c’est très différent. On sait que le sujet est sensible, que la diplomatie française, d’une manière générale, est toujours très embêtée avec l’Algérie. En résumé, quoi qu’elle dise, elle pense que ça peut se retourner contre elle. Mais nous, en tant que journalistes, on n’a aucune raison de ne pas révéler ce qu’on sait sur le dossier. Si c’est au service de l’information, dans l’intérêt des auditeurs, on en parle sur nos antennes à Radio France et en particulier à franceinfo.
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