Début janvier, une poignée d'hommes criaient hautet fort devant l'Assemblée nationale à Tunis : "Vive Ben Ali ! ". Au cours deconversations avec des citoyens, ou dans les taxis, le nom de l'ancien dictateurrevient également, souvent évoqué pour sauver une Tunisie qui va mal. Ainsi, siles Tunisiens, peut-être pas dans leur majorité mais en grande partie, n'hésitentplus à regretter ouvertement l'ancien régime - avançant une situation économiqueet sécuritaire meilleure à l'époque -, on devine que c'est sans complexe queréapparaissent sur la scène politique d'anciens cadres du RCD (Rassemblementconstitutionnel et démocratique), le parti de Ben Ali.Pour se démarquer dudictateur déchu, leur argument est de se revendiquer descendants d'HabibBourguiba, qui a fait de la Tunisie un pays moderne. On les appelle lesDestouriens, du nom du Parti socialiste destourien, dirigé par le premierprésident tunisien (Destourien vient de "destour" qui signifie"constitution").Un ancien Premier ministre de Ben AliIls sont plusieurs dans différents partis, avec par exempleun ex-secrétaire général du RCD ou un ancien Premier ministre de Ben Ali durantdix ans ! Il s'appelle Hamed Karoui et préside aujourd'hui le MouvementDestourien. "Quand les gens demandent le retour de Ben Ali, explique-t-il,c'est symbolique. Ils ne demandent pas le retour de la corruption de Ben Alimais la sécurité, le développement ". Un homme qui fut dix ans Premier ministrede Ben Ali est forcément associé aux années de dictatures par les Tunisiens. Luis'en défend : "Nous avons servi la Tunisie sous l'ère de Ben Ali, nous n'avonspas servi Ben Ali. Je n'ai pas quitté le gouvernement car nous faisions du bontravail pour notre pays. Mon départ du gouvernement n'aurait pas fait tomber BenAli ".Le retour sur la scène politique de ces gens-là nesemble pas perturber les Tunisiens. Il y a bien eu quelques meetings attaqués qudébut, mais aujourd'hui, leur présence ne choque plus. Agriculteur à laretraite, Nouredine Manaï se présente comme un opposant sous Ben Ali. Même luin'est pas contre le retour de ce que l'on appelle les anciens "RCDistes". "Lepeuple veut que ces gens-là reviennent parce qu'il voit que la Tunisie est endanger, explique-t-il. Ces politiciens sont hautement compétents par rapport àceux qui sont en poste maintenant. Ils ont réussi à faire tourner la Tunisiequand il y avait la mafia Ben Ali-Trabelsi qui bouffait l'économie du pays ". Quand on lui demande si ces gens ne faisaient pas eux non plus partie de lamafia de Ben Ali, Noureddine répond en souriant : "Si, un peu, à 5 ou 10%. Moihonnêtement je ne voudrais pas les voir revenir, poursuit-il, mais je préfère lediable plutôt que ceux qui gouvernent maintenant ". Ne craint-il pas qu'unretour au pouvoir des RCDistes revienne à un retour de la dictature ? "Non,c'est fini ça. Ils reviennent avec une autre mentalité ".Une loi sur la justice transitionnelleTrois ans après la chute de Ben Ali, ces partisreviennent sur la scène politique en toute légalité. Certains de leursdirigeants ont fait quelques mois de prison au sortir de la révolution avantd'être blanchis. Ce qui désole la militante Sihem Ben Sedrine, présidente d'uneONG pour la justice transitionnelle, un processus censé juger les crimes de ladictature. "*Ces gens-là qui n'ont eu à rendre compte ni de leurs crimes, ni deleur corruption, on a découvert que leurs dossiers étaient vides, déplore-t-elle. Pourquoi ils étaient vides ? Parce qu'on n'a pas voulu lesremplir, il aurait suffit d'accéder aux archives qui ploient sous lesaccusations . Mais ceux qui ont traité les dossiers étaient ceux que l'on appelle'les juges de Leïla' (Trabelsi, épouse de Ben Ali, NDLR), nommés ainsi parcequ'elle avait la haute-main sur la justice. Ces 'juges de Leïla' continuent desiéger tout en haut de l'institution judiciaire. Et ils ont trouvé que tous ces gensétaient innocents. Tant qu'il n'auront pas rendu des comptes, conclut-elle,l'immonde bête de la dictature restera dans nos murs ".Une loi sur la justice transitionnelle a été votéepar l'Assemblée tunisienne. Peut-être plus tard ces anciens proches de Ben Aliseront-ils inquiétés. En tout cas jusqu'à présent, un seul de ces mouvements,Nidaa Tounes, constitué en partie seulement d'anciens du RCD, joue un rôlemajeur sur la scène politique tunisienne.