SAMU : traitements de choc au porte-monnaie
C'était il y a un peu moins d'un an, le soir du 18 novembre 2011. Denis, ouvrier dans le BTP à Saint-Germain-les-Arpajon dans l'Essonne, est brutalement pris d'une hémorragie intestinale. "Il se vidait de son sang", se souvient son épouse, Marie-Claude, qui appelle les secours.
Une équipe du SMUR, service mobile d'urgence et de réanimation, bras armé du SAMU, arrive et le transporte à l'hôpital d'Evry. Il sera opéré sous anesthésie générale quelques jours plus tard. Mais de retour à la maison, mauvaise surprise. Une facture de 652 euros. Marie-Claude étant depuis peu sans revenu, le couple obtient un échelonnement : 10 mensualités de 60 euros. Il leur en reste encore une à payer. Ils espèrent que leur mutuelle acceptera alors de les rembourser.
Lourdes factures
Le cas de Denis et Marie-Claude n'est pas isolé. 513 euros facturés pour un nourrisson tombé d'une table à langer près de Champagnole dans le Jura. 376 euros pour une épaule démise à Briançon dans les Hautes-Alpes. Des sommes qui correspondent au ticket modérateur, 35% du coût global de l'intervention du SMUR*, généralement pris en charge par les complémentaires santé.
L'Assurance maladie s'acquitte du reste. Certains hôpitaux – auxquels sont rattachés les SMUR – indiquent adresser des factures aux patients pour chaque intervention. C'est le cas du centre hospitalier de Joigny dans l'Yonne. D'autres établissements (Lons-Le-Saunier, Mont-de-Marsan) pratiquent la facturation dans 20 à 25% des cas. Sur quels critères ? Cela dépend des endroits.
À Douai, on fait payer le ticket modérateur à toute personne qui n'est pas prise en charge à 100% par l'Assurance maladie, tout le monde sauf les affections longue durée (ALD), les accidentés du travail et les femmes enceintes. La plupart des établissements exonèrent aussi les personnes finalement hospitalisées et qui subissent un acte au coût supérieur à 120 euros. C'est la règle revendiquée notamment par l'AP-HP qui regroupe les hôpitaux parisiens.
Mais à Lariboisière, on indique ne jamais facturer les interventions du SMUR. Pas de facturation non plus à Metz, ni à Châteaubriant en Loire-Atlantique. Financièrement, mieux vaut tomber de son échelle en Lorraine que dans les Landes.
Inégalités
Et ce n'est pas la seule inégalité. Les tarifs appliqués varient également fortement d'un établissement à un autre : 335 euros la demi-heure d'intervention pour les SMUR terrestres à Paris, 2.419 euros pour celui de Saint-Claude dans le Jura. Différence ville-campagne ? Pas seulement.
Les SMUR de Guéret dans la Creuse et Contamine-Sur-Arve en Haute-Savoie affichent les tarifs les plus bas de notre enquête : 281 et 330 euros. Autre curiosité, si 30 km séparent Dinan de Saint-Malo, le prix du SMUR y passe du simple au double, 433 à 833 euros. Des différences géographiques qui s'expliquent officiellement par le mode de calcul du tarif. Coût global d'une année de fonctionnement divisé par le nombre estimé de demi-heures d'intervention. Mais il existe aussi de fortes variations temporelles.
À Rethel dans les Ardennes, la demi-heure valait 451 euros le 31 mars, 850 le lendemain. Mouvement inverse à Champagnole dans le Jura, on est passé au 1er septembre de 1466 à 794 euros la demi-heure. À l'Agence régionale de santé de Franche-Comté, on reconnaît des "décalages". Florent Théveny, responsable du département allocation de ressource, acquiesce lorsque l'on fait valoir que les patients du début d'année paient pour ceux de la fin.
Flou juridique ou ruses financières ?
Pourquoi un tel maquis ? Peut-être parce que les bases juridiques sont multiples. Dans le code de la Sécurité sociale, on trouve les justifications d'une tarification selon le profil de la personne (ALD, femme enceinte...) ou selon la nature de la prise en charge (hospitalisation avec un acte supérieur à 120 euros). Mais le même code de la Sécurité sociale et celui de la santé publique stipulent aussi que les SMUR sont financés par une dotation publique.
Certains hôpitaux touchent-ils alors des deux côtés, dotation publique et paiement du patient ou de sa mutuelle ? "C'est la règle" , assure Hassan El Mazani, adjoint au directeur des finances de l'hôpital de Mont-de-Marsan. D'après François Braun, patron du SAMU de Metz, les recettes tirées des patients devraient au contraire être déduites des dotations.
À la Caisse nationale d'Assurance maladie on est embarrassé. Suggérant à demi-mot l'hypothèse de doubles facturations, on préfère ne pas s'exprimer plus avant sur le sujet. Marc Giroud, président de l'organisme professionnel SAMU Urgences de France, n'exclut pas la possibilité de "ruses" de certains établissements, pour compenser des financements parfois trop serrés.
Dernier texte enfin qui sème la confusion, la réponse à une question au gouvernement publiée au Journal Officiel le 29 novembre 2011. On y lit noir sur blanc que "les interventions du SMUR ne peuvent donner lieu à une facturation directe à la personne transportée [...] La participation laissée à la charge de l'assuré est supprimée." Sollicité, le ministère de la Santé n'a pas souhaité répondre à nos demandes répétées d'interviews.
"Tout ce système est à revoir"
Face à ce flou, SAMU Urgences de France plaide pour une refonte du dispositif. Son président, Marc Giroud, prône un abandon de la facturation pour ne fonctionner qu'avec la dotation. "Tout le système est à revo ir", assène-t-il, système à ses yeux "décalé, absurde et contre-productif" . En plus de faire "perdre du temps" à des agents " obligés d'établir des dossiers ", le médecin redoute que le coût ne dissuade certaines personnes d'appeler le SAMU :
"Si on a une raison d'être, c'est de pouvoir se mobiliser aussi bien sur des cas d'urgence avérée que potentielle, sans discrimination liée à la capacité des uns ou des autres à payer."
Selon lui, les cas qui posent problème restent toutefois rares. Il existe des dispositifs d'échelonnement de créance ou d'aide sociale pour les plus démunis. D'après l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, 8% des Français ne bénéficient d'aucune complémentaire santé.
Peut-on imaginer alors que les plus modestes préfèrent composer le 18 plutôt que le 15 ? "Les interventions des pompiers se font en toute gratuité pour le citoyen secouru" , assure Pierre-Henri Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur.
Mais appeler le 18 ne garantit pas un déplacement des pompiers. La plupart du temps une régulation est opérée avec le SAMU, afin d'envoyer les moyens les plus appropriés. Marie-Claude, elle, en tout cas, réfléchira à deux fois avant d'appeler à nouveau les secours. "On se dit qu'on n'aura peut-être pas les moyens de le faire" .
* Il n'est question ici que d'interventions de SMUR terrestre et non héliporté, sur le lieu où se trouve initialement le patient (domicile, voie publique...) et non de transport d'un hôpital à un autre.
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