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Révoltés de Kiev : "On a perdu une bataille, pas la guerre !"

Après l'assaut mardi des forces anti-émeutes contre les manifestants de la place  Maïdan, un assaut qui a fait au moins 28 morts et plus de 250 blessés, le président Ianoukovitch a annoncé une "trêve" et la reprise des pourparlers avec trois des leaders de l'opposition. Mais sur le terrain, les Ukrainiens restent déterminés à obtenir la démission de ce président qu'ils jugent "dictatorial".  
Article rédigé par franceinfo
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Franceinfo (Franceinfo)

L'hypercentre de Kiev se remarque d'habitude par ses façades colorées, ses
jolies églises. Mais de plus en plus, on ne voit plus que sa noirceur. Sur la
place de l'Indépendance, qui est le cœur de la contestation, on voit partout des
restes d'incendies, des véhicules calcinés. Les pavés ont été désossés.

L'immense maison des syndicats qui était le quartier général des contestataires
a quasi entièrement brûlé. Cette maison des syndicats, c'est aussi là que
beaucoup de médecins volontaires soignaient les blessés. Ils ont dû déménager. Et c'est dans une cathédrale orthodoxe qu'ils ont posé leur
matériel : la cathédrale Saint-Michel, située sur une colline toute
proche.

Un hôpital au milieu des cierges et des dorures

C'est dans
le monastère, juste à côté du majestueux bâtiment bleu, blanc et doré, que les
blessés les plus graves sont accueillis. On découvre ainsi des malades perfusés
sur des lits, d'autres qui sont anesthésiés sur des tables d'opération
improvisées. Tout cela, au milieu des magnifiques icônes dorées et colorées, au
milieu des cierges, au milieu des religieux qui circulent en tenues
traditionnelles. Un spectacle surréaliste.

C'est là
que Serguei est médecin volontaire. Il est épuisé. Comme ses collègues, il
n'a pas dormi depuis deux jours. "Il a fallu opérer les blessés à la chaîne.  Beaucoup de jeunes avaient des plaies avec des plombs à l'intérieur. Beaucoup
ont été tabassés, ou ont reçu des projectiles sur le crâne. Il y a un des
patients que j'ai pris en charge qui a perdu un œil. Je n'ai rien pu
faire", raconte-t-il.

"Certains n'ont pas pu être sauvés du tout. On a juste récupéré leurs
cadavres
"

"Quand les blessures sont graves, on est tenté de les transférer vers
les vrais hôpitaux, mais dans certains de ces hôpitaux, ça peut être dangereux
car la direction dénoncent les rebelles à la police. Des blessés se sont
retrouvés ainsi emprisonnés parfois. C'est terrible !
", raconte le jeune
médecin, stéthoscope autour du cou.

Des
civils recrutés par le pouvoir pour mater les
manifestants

Le dernier
patient qu'il vient de prendre en charge, c'est Ivan, 32 ans, arrivé il y a une
semaine de Lebedyn, une ville située à 300 kilomètres à l'est de Kiev. Il a le
visage tuméfié, un œil rouge écarlate, de nombreux points de sutures sur le haut
du crâne. Il tousse beaucoup parce qu'il a été intoxiqué par les fumées de la
place de l'Indépendance.

Ivan raconte : "Au moment de l'assaut des forces anti-émeutes,
j'ai eu l'impression de vivre un thriller. J'étais dans la maison des syndicats
au cinquième étage. Il y avait des flammes partout. 
J' ai finalement réussi à
descendre, mais  je me suis retrouvé piégé par les Berkout, ces rats de
policiers ! Et je ne vous parle même pas de 'titouchki', ces voyous en civil
recrutés par le pouvoir pour nous casser la gueule. Ce sont des sauvages. Ils
m'ont pris tous mes papiers et mon téléphone. Je ne sais même pas comment
prévenir ma famille,  es rassurer, leur dire que je suis vivant",
explique
le jeune homme.

"Cette jeunesse nous fait rêver"

Ivan a eu ses vêtements déchirés,  brûlés. Heureusement, au monastère il a trouvé de quoi se rhabiller de la tête
au pied. Car des civils viennent déposer tout ce qui peut aider les opposants
qui risquent leur vie en première ligne. Youri, les cheveux grisonnants et le
pas lent, vient d'arriver les bras chargés.  

"J'ai amené mes vieux pulls. Ma
femme, elle, a fait des gâteaux. Vous comprenez, on a 78 ans, on est trop vieux
pour aller sur les barricades. Alors apporter tout ça, c'est notre façon de
soutenir la révolte. Vous voyez devant nous : d'autres gens apportent des
compresses, des médicaments. Nous sommes tellement fiers de cette jeunesse. Elle
nous fait rêver. Rêver que ce diable de Ianoukovitch  va foutre le camp.

" Moi
j'ai longtemps été communiste, j'ai aimé l'URSS mais maintenant je veux qu'on se
tourne vers l'Europe. Pour nous aider, il faut que Bruxelles gèle tout l'argent
que nos mafieux de gouvernants ont sur des comptes dans des banques
européennes. Il faut les toucher au porte-monnaie, ces pourris",
 s'emporte
le vieux monsieur.

Rester mobilisé malgré la peur

Ivan a les
larmes aux yeux en nous parlant. Il regarde partir de jeunes opposants blessés
mais décidés à retourner "au combat" comme ils le disent eux-mêmes parlant de "révolution à défendre même quand elle semble en train de
vaciller
".

Certains
des jeunes mobilisés reconnaissent qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les
forces de l'ordre ouvrent le feu à balles réelles dans la nuit de mardi à
mercredi. Ils confient qu'ils se mettent maintenant plutôt en deuxième ligne ou
qu'ils rentrent de temps en temps chez eux faire une sieste ou suivre les
évènements à la télévision.

Mais Kyryl, 22 ans lui est au contraire plus
remonté que jamais. Il  vient de se faire recoudre plusieurs plaies, mais compte
repartir très vite sur les barricades, avec son masque à gaz, son casque de vélo
et  un bâton en métal. "Comme beaucoup de mes copains, je dois avouer que
j'ai peur parfois quand on est place de l'Indépendance. Mais je ne vais pas
céder à cette peur. Si je me retrouve à en découdre avec ces Berkout, ces
policiers barbares, je leur ferai subir ce qu'ils nous ont fait subir. Ils ont
tué nos frères. On se vengera. S'ils réfléchissaient un peu, ils comprendraient
que, eux aussi, comme tous les Ukrainiens ont intérêt au départ de Ianoukovitch
ce diable, ce pantin de Poutine
". Evoquant le dernier assaut de la police, il assure : " On a perdu une bataille , ajoute-t-il, mais pas la guerre !"

"C'est dur ce qu'on fait en ce moment, mais c'est le prix de la liberté et de la démocratie"  dit Kyryl, très solennel

Et la trêve annoncée mercredi soir par le président ne lui fera pas modifier sa position. Kyryl avec une quinzaine de camarades de son quartier fait partie de ceux qui cette nuit
encore sont restés place de la l'Indépendance, ils ont fabriqué et balancé des
cocktails molotov en direction des policiers. Jeudi matin pour rejoindre cette
place comme pour rejoindre n'importe quel lieu de la ville, il n' y a toujours aucun métro. Le centre ville reste paralysé. On verra
dans la journée si la trêve annoncée par le président y changera quelque
chose.

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diplomatie européenne

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