Racisme au travail : la SNCF accusée de laxisme
Avant d'entrer à la SNCF, il en avait un image idyllique. "Le travail de ma vie est devenu le cauchemard de ma vie ", résume aujourd'hui Nourdine. Ce guichetier de 38 ans, explique que c'est à cause de son appartenance ethnique que son salaire n'a été augmenté que de huit euros net tous les trois ans depuis le début de sa carrière. Nouredine raconte aussi et surtout le racisme ordinaire et parfois violent qu'il a subi au quotidien dans son premier poste en banlieue parisienne.
Des injures par fax
"Quand je suis arrivé au bureau juste après avoir eu mon examen, personne n'a souhaité me former parce que j'étais le premier salarié d'origine étrangère à arriver dans cette équipe-là. Le même jour j'ai trouvé au bureau accueil un fax pour moi. Des injures y était écrites telles que "sale bougnoule" et j'en passe ", se souvient ce salarié qui décrit ensuite un véritable harcèlement. Un chef qui refuse de mener une enquête interne suite à ses plaintes, un autre qui le fait muter à Meaux "parce que là-bas, il sera avec les siens ", référence à la forte population d'origine étrangère dans cette ville.
Le dossier de Nourdine, soutenu par le défenseur des droits, sera jugé prochainement aux Prud'hommes. D'autres ont déjà été jugés ou doivent l'être. Parfois les cas vont jusqu'au pénal. A chaque fois, il est question de carrières au point mort, de salariés d'origine africaine dont les collègues ouvrent les fenêtres dès qu'ils entrent dans une pièce, ou encore de courrier électroniques racistes envoyés en série.
Une réaction face à "l'inertie " de l'encadrement
Le collectif "Droit à la différence" reconnaît que la situation n'est pas aussi dramatique dans toutes les composantes de la SNCF. "On ne peut généraliser. L'arbre n'est pas pourri, mais il faut couper quelques fruits " aime à dire Radouane Kebdi, porte-parole de ce collectif. Il dénonce une inertie, une certaine indifférence des supérieurs. Certains chefs répondraient par exemple aux personnes qui reçoivent des mails racistes qu'il ne faut "pas se braquer ", que c'est un "phénomène de société ". Ces propos ulcèrent le salarié âgé de 39 ans. Lui aussi déplore d'avoir souffert de ses origines dans sa progression de carrière.
"Notre direction ne déjuge pas les gens qui insultent ou freinent les carrières. Les syndicats eux ne font rien. C'est pour cela qu'on a décidé de monter un collectif. En se contactant par internet, on a compris que nous n'étions pas des cas isolés et qu'il fallait parler. On a aussi constaté que la méthode des managers étaient toujours la même : ils préfèrent étouffer les situations délicates plutôt que les tirer au clair et de sanctionner les responsables " s'indigne Radouane Kebdi.
"On ne les laissera plus noyer le poisson"
"La SNCF, entreprise publique, devrait être exemplaire en la matière. C'est tout le contraire. Mais maintenant on va réagir, on ne les laissera plus noyer le poisson ", ajoute-t-il.
Interrogée sur le sujet, la direction de la SNCF se défend de ces accusations de laxisme. Elle rappelle que la SNCF fait partie des 30 premières entreprises de France à avoir signé, dès 2004, la charte de la diversité. Ses responsables sortent les plaquettes papiers largement diffusés, selon eux, dans l'entreprise des plaquettes intitulées "manuel diversité à usage des managers" ou encore "faire vivre la diversité entre agents dans l'entreprise". En les feuilletant on peut lire que les blagues homophobes sont inacceptables et donc à proscrire, que les injures raciales sont un délit ou encore qu'il ne fait pas se moquer des choix religieux de ses collègues.
"Il y a parfois un sentiment de discrimination" selon la SNCF
Ces responsables mettent aussi en avant les formations offertes à plusieurs catégories de personnel sur les comportements à éviter au bureau. Claude Mwangelu, responsable "diversité et égalité des chances" à la SNCF, tente aussi de relativiser les choses. "Il y a parfois un sentiment de discrimination de la part de certains agents mais ça ne correspond pas forcément à une réalité de discrimination ", explique-t-il. "Il faut aussi être réaliste, nous sommes une entreprise de 144.000 salariés, à l'image de la société. Des comportements que l'on peut voir dans la société, on les retrouvera forcément aussi dans nos rangs. Personne ne peut assurer le "risque zéro" en matière de discrimination et de racisme, malgré les gros moyens mis en œuvre et malgré notre plus ferme condamnation de tels faits ", se défend-il.
"A la base, les consignes de respect ne sont pas forcément suivies"
Il existe une institution constitutionnelle en France qui lutte contre les discriminations depuis 2011: le défenseur des droits. Ses représentants ne nie pas observer une attention particulière sur certaines entreprises et notamment sur la SNCF. "Nous avons quelques dossiers qui mettent en cause la SNCF. On a même déjà à deux reprises soutenu dans nos avis des salariés qui se plaignent de discrimination ethnique " relate Slimane Laoufi, responsable pour le Défenseur des Droits du pôle "emploi privé". "C'est le problème souvent des grandes entreprises, il y a une bonne volonté en haut de la pyramide, mais dans les faits, à la base, les consignes de respect des droits ne sont pas forcément bien suivies ", ajoute-t-il. Il espère que les dossiers en passe d'être jugés seront autant d'occasions pour la SNCF de s'interroger et de tirer des conclusions de tous ces conflits arrivés devant des juges.
Il existe un autre dossier pour lequel le défenseur des droits n' a pas été saisi, mais qui n'est pas étranger à ces cas. Exactement 744 cheminots marocains, que la SNCF a recrutés dans les années 70, ont porté plainte car ils n'ont pas eu, tout au cours de leur carrière, les mêmes droits que leurs collègues français. Pas de retraite à 55 ans, pas d'accès au concours internes, notamment. L'affaire est sensible, elle aussi est en cours devant les Prud'hommes. Sur celle-là, la SNCF refuse tout commentaire.
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