Quand le racisme se banalise : l'exemple du Gard
C'est pourtant là que s'est produit début août un fait-divers assez lourd de
sens. Un soir de ramadan, une dizaine de jeunes bavardent devant une épicerie.
Une voiture s'arrête à leur niveau. Les
jeunes sans histoire proposent : "Messieurs-Dames vous avez besoin d'un
renseignement ? ". La voiture redémarre aussitôt.
Mais le couple de
quadragénaires revient quelques minutes plus tard. Cette fois, ils sont armés
d'un fusil de chasse et hurlent des insultes racistes à l'encontre du groupe
rassemblé. Elle recharge l'arme. Lui, passablement ivre, tire à plusieurs
reprises pendant vingt minutes en direction des jeunes, qui s'enfuient paniqués.
La scène s'est produite devant une dizaine de témoins du quartier. Par miracle,
un seul des jeunes sera blessé, légèrement.
En comparution immédiate, les 2 accusés
ont écopé de 2 et 4 ans de prison ferme, pour violence aggravée et incitation à
la haine raciale. Le procureur dans ses réquisitions n'a pas hésité à décrire
dans ce comportement une véritable "chasse à l'homme".
Si le fait-divers est sidérant, les
soutiens qui se sont manifestés les jours suivants dans les environs ont eux
aussi de quoi étonner. Ce ne sont pas les victimes mais bien le couple jugé
coupable qui a bénéficié de la compassion des habitants du secteur. Certains ont
créé une association, une page facebook et même lancé une pétition qui a reçu
800 signatures, dans l'espoir de faire libérer les deux quadragénaires.
Juste
après le jugement, le couple avait fait appel. Finalement il s'est rétracté ces
derniers jours. Il n'y aura donc pas de second procès pour ces deux
quadragénaires dont les casiers judiciaires jusque-là étaient
vierges.
Des habitants se disent "excédés par la pression des immigrés"
Leur avocat a prié les auteurs de la
pétition de ne plus parler aux journalistes. Mais même parmi les habitants
rencontrés au hasard, certains minimisent ce qui s'est passé ou même soutiennent
le couple. "Ce monsieur-là n'avait jamais fait de mal à personne. Il tire une
fois avec son fusil, et direct il est condamné à 4 ans de prison... C'est énorme
et ça révolte. Je pense qu'il y a une justice à deux vitesses. Quand des
étrangers tirent sur des Français la justice est bien plus clémente ", s'insurge
Jean-Paul à une terrasse de café d'Aigues Mortes.
Un peu plus loin une
commerçante qui souhaite rester anonyme explique que pour elle "ce qui s'est passé cet été,
c'est un banal fait-divers, une dispute qui s'est un peu échauffée, mais il
faut que les médias arrêtent de la monter en épingle. Il ne faut pas voir du
racisme partout. Cet homme qui a tiré n'a rien de raciste " ajoute-t-elle.
Plus
clairement xénophobe, un jeune d'une vingtaine d'année intervient : "Moi je le
comprends le type qui a tiré. J'aurais tout à fait pu être à sa place, et je
peux vous dire que parmi mes amis, ils sont nombreux à pouvoir avoir un jour ce
même comportement car on est excédés par la pression des immigrés. Ce tireur, il
a eu raison d'après moi " conclut-il sans hésiter.
Il n'est pas question d'affirmer que
tout le monde dans le département du Gard est raciste. Ca n'est pas le propos
mais il y a visiblement une banalisation du racisme dans ce secteur. Une
banalisation que Redouane, 28 ans, ressent de plus en plus. Il était présent le
soir des faits devant l'épicerie, a entendu les balles siffler. Jamais il
n'aurait cru qu'il serait une telle cible, du seul fait de son faciès. "Quand
j'ai vu cette pétition, je n'ai pas compris que ce soit eux que l'on puisse
soutenir. Déjà que ce qui s'est passé ce soir là m'a choqué et occupe mon esprit
très souvent dans la journée, le fait qu'il y ait eu cette pétition a fait que
maintenant je suis bien plus sur mes gardes. Quand j'entends une voiture
s'arrêter à ma hauteur dans ce quartier-là, j'ai peur ", confie
Redouane.
Quelques jours après ce fait-divers, à 15 kilomètres de là, au Cailar, au cours
d'une course de taureaux, un important groupe de jeunes a scandé des slogans
anti-arabes à vive voix. ils ont ensuite mis la séquence sur internet. Les
gendarmes ont été saisis.
Et puis régulièrement, il y aurait des tensions qui se
manifesteraient sur fond de racisme. C'est ce que confient des représentants des
forces de l'ordre de plus en plus souvent appelés pour résoudre des conflits de
cette nature.
"L'expression du racisme devient habituelle, ordinaire"
Le Gard a été le seul département à
placer Marine Le Pen en tête au premier tour de l'élection présidentielle en mai
dernier. C'est dans le sud du Gard qu'a
aussi été élu un des deux seuls députés avec étiquette FN : le très médiatique
avocat marseillais, Gilbert Collard.
D'après le procureur de Nîmes, d'après
des représentants des forces de l'ordre sur place, cette montée du FN aurait
désinhibé et décomplexé certaines personnes. Le discours de rejet des immigrés
serait de plus en plus répandu, de moins en moins tabou. "Nous ne disposons pas de statistiques fines
sur ce sujet mais clairement on observe qu'il y a des incidents répétés, un
climat. L'expression du racisme devient habituelle, ordinaire. Alors il ne faut
peut-être pas crier au loup, mais constater sans se voiler la face que le loup
est bien là. Le racisme, c'est un fléau rampant. Il faut toujours se battre et
particulièrement en ce moment chez nous ", commente Alain Doudiès de la ligue des
droits de l'Homme dans le Gard. Il rappelle qu'Aigues Mortes a
déjà été marquée dans son histoire par un très triste épisode sur fond de xénophobie. C'était en
1893 : des ouvriers français des Salins du Midi ont massacrés des ouvriers
italiens, leur reprochant de venir leur voler le pain dans la bouche dans leur pays. Il y
avait eu huit morts.
"Ce qui se passe en ce moment ici, c'est faire de la manipulation des esprits à partir de deux
simples fait divers " s'insurge Maître Collard. Le député de la deuxième
circonscription du Gard, député d'extrême droite donc, fraîchement élu se
révolte de la "récupération que les mouvements antiracistes et les partis de
gauches tenteraient de faire en stigmatisant la population du secteur. Il faut
écouter les gens sur le terrain. Moi ici je n'entends pas parler de racisme
(...) ou alors de racisme anti-français, anti-blanc. CA, ça existe, il faut dire la vérité. (...) Il y a parfois une
attitude de provocation de la part des jeunes issus de l'immigration ", conclut
le parlementaire.
Face aux faits
divers dans lesquels la dimension raciste est clairement établie, les élus du
secteur réagissent diversement. Il y a ceux comme le maire du Cailar qui a dit
tout haut "sa honte ", "son indignation ".
Le jeune maire
socialiste d'Aigues Mortes a été également indigné mais lui -
et cela lui a été reproché - n'a pas commenté le fait divers dans sa commune. Sa
priorité était de ne pas créer davantage de tensions à quelques semaines d'une fête toujours très
arrosée : la fête votive d'Aigues Mortes, dernière fête régionale traditionnelle
de la saison qui attire entre 40.000 et 50.000 personnes chaque année. C'est
également par souci de l'ordre public que ce maire, Cédric Bonato a demandé
qu'une manifestation de l'association SOS Racisme soit déplacée d'Aigues mortes
vers Nîmes. Sa stratégie dit-il : "le travail de fond, plutôt que la parole qui
risque d'être clivante. Je me suis aperçu que la devise de la république
avec le temps était devenue illisible sur le fronton de la mairie. Alors, le 26
septembre, on va inaugurer les nouvelles inscriptions "liberté, égalité,
fraternité" et tous les aiguemortais, tous les enfants de la république seront
les bienvenus, ce sera un rassemblement, un moment spécial autour de nos
valeurs ", explique Cédric Bonato qui veut aussi miser sur des missions
pédagogiques et citoyennes sur la fraternité, la différence, la tolérance dans
les écoles de sa commune.
Jusqu'à l'an passé, cette municipalité
finançait un voyage à Paris à un groupe de collégiens, avec visite de
l'Assemblée nationale. Quitte à payer
plus cher, à partir de cette année, le maire a décidé : ces élèves devraient
aller visiter le camp nazi d'Auschwitz,*
- en Pologne. L'éducation comme remède
contre l'ignorance et la xénophobie.
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