Chaque mois, ces courriers arrivent par centaines à la BBC.Souvent, l'adresse est succincte, elle ne comporte que quelques mots: "BBC London, Angleterre". Ce sont des récits du quotidien parfoisaccompagnés de photos, de poèmes ou de dessins. Il y a aussi parfois des appelsà l'aide, comme cette lettre expédiée par Suzette Vincent en juin 1940. Lajeune femme, qui vit dans le Gard, est sans nouvelle de son fiancé, parti enAngleterre pour défendre la France. "Cette lettre-là, c'est un peu unebouteille à la mer ", explique Pierre Robédat, le frère de ce fameux soldatdont la fiancée demande des nouvelles à la BBC. "Elle a essayé de fairequelque chose. Moi je me souviens très bien du souci que se faisait ma mère.Elle disait 'Claude est parti, on ne sait pas ce qu'il fait, on se sait pas cequ'il est devenu'. Elle espérait qu'elle finirait par avoir un écrit etpeut-être entendre la voix à la radio de mon frère Claude ". Mais SuzetteVincent ne reverra jamais son fiancé, tué en mission en 1941, alors qu'iln'avait que 22 ans.Barrage contre la censure A cette époque, écrire à la BBC s'apparente à un parcours ducombattant. Il faut déjouer la censure. Souvent, les courriers transitent parle Maroc, l'Espagne, le Portugal. Quand elles parviennent à Londres, cesmissives sont souvent très précieuses pour les Alliés, se souvient Jean-LouisCrémieux-Brilhac. Il a 97 ans aujourd'hui, et il était à l'époque secrétaire ducomité exécutif de la France libre. "Ces lettres étaient extrêmementintéressantes parce qu'elles donnaient des précisions sur la vie française, surl'état d'esprit, sur les préoccupations principales -les transports, leravitaillement. Et puis certaines lettres étaient beaucoup plus précises. Ellesrendaient compte des résultats d'un bombardement ou bien elles indiquaient desobjectifs précis avec des dessins des endroits à bombarder, ce qui était unrisque mortel pour leurs auteurs. Certaines lettres étaient écrites en lettresmajuscules pour qu'on ne reconnaisse pas l'écriture de l'expéditeur ".Les Français parlent aux Français Des extraits de ces courriers sont lus, chaque soir, aucours de l'émission "Les Fra çais parlent aux Français". Chaquejour, des milliers de Français suivent les programmes. Mais à chaque fois,c'est un défi de capter la radio se souvient Odile de Vasselot, résistante duréseau Comète, à l'époque en Lorraine. "On avait un mal fou parce que lesAllemands la brouillaient énormément. C'était à un cheveu près. Etmalheureusement, on ne pouvait pas laisser l'aiguille au bon endroit, parcequ'on craignait que les Allemands entrent dans la maison et ouvrent la radio,pour voir si on écoutait la BBC ". A l'époque, la BBC a un slogan. "Quand les Allemands nous brouillent, les Français sedébrouillent ". Contre propagande Radio Londres, c'est la réponse des Alliés à Radio Paris,dont les Allemands étaient les maîtres. Il fallait soutenir le moral desFrançais et contrer la propagande allemande. Alors, on utilise des messagescodés destinés aux résistants, du type "L'étoile filanterepassera ", "Melpomène se parfume à l'héliotrope " et encore "la lune est pleine d'éléphants verts ". Aux commandes de RadioLondres, il y a un noyau d'une dizaine de personnes. Miriam Cendrars, la fillede l'écrivain Blaise Cendrars, en fait partie. A l'époque, elle anime uneémission qui explique la guerre aux enfants. "C'était surtout être la voixde la France libre. D'une certaine façon, nous représentions la liberté. Nousétions persuadés que les choses ne pouvaient pas se terminer autrement que parla victoire des Alliés. Il y avait cette foi, cette conviction ". De l'avisde ceux qui ont participé à l'aventure, Radio Londres aura eu un rôledéterminant dans le conflit. Voici ce qu'écrit une femme de Béziers à la BBC,en juin 1940: "Chers amis anglais, merci pour le réconfort qu'apportentvos émissions aux Français restés avides de liberté, aux Français quin'acceptent pas d'être mangés à la sauce hitlérienne (...), à ceux qui gardentau coeur l'espoir tenace d'un relèvement ".