Normes : la France au bord de l'asphyxie
C'est un exemple parmi des milliers d'autres. Depuis 30 ans, Jean-Louis Brun, un menuisier installé à Albaret-Sainte-Marie, en Lozère, pose des toitures. Ce petit artisan, qui emploie six personnes, en a assez de l'avalanche de protocoles, de réglementations. Des textes qu'il juge souvent absurdes.
"Pour monter un échafaudage, maintenant il faut passer des tests alors qu'on en a montés toute notre vie. On a des problèmes sans arrêt, il y a toujours quelque chose qui n'est pas dans les normes. Par exemple, on n'a plus le droit de monter aux échelles car ce n'est plus dans les normes. Je ne comprends pas tout. C'est du matériel qui coûte très cher et dont on ne peut plus se servir car si l'inspection du travail passe, elle nous fait arrêter le chantier ", explique-t-il.
Montant de la facture : plus de 50.000 euros
Même constat désabusé, un peu plus loin, toujours en Lozère, dans une petite station-service de campagne. Pour répondre aux normes, il a fallu poser des cuves d'essence à double-paroi, faire changer les tuyaux des pompes par un organisme certifié, installer une alarme de sécurité... Montant de la facture : plus de 50.000 euros. "On a l'impression qu'ils pondent des lois sans se rendre compte des conséquences financières que ça peut avoir pour les entreprises " regrette la gérante, Solange Delor.
"Parfois c'est plusieurs dizaines de milliers d'euros pour une nouvelle norme, on n'a pas assez de bénéfices pour faire des travaux en plus. On se pose la question de savoir si on doit continuer ou arrêter ". Et il y a un paradoxe, toutes ces normes sont invisibles pour qui n'est pas concerné. Mais elles sont partout, coûteuses et contraignantes.
Raz-de-marée de règlements
Au fil des années, les textes se sont accumulés dans les ministères. Des règlements dont certains remontent au code Napoléon de 1804 et qui forment un ensemble indigeste, estime le député UMP de la Lozère, Pierre Morel-A-L'Huissier, auteur d'un rapport sur le sujet.
"On est dans la folie normative, c'est un mal français. L'administration française pond à longueur de temps des normes parce qu'on pense qu'ainsi on sécurise la vie des gens. Sauf qu'à un moment donné, il y a un trop-plein. Je crois qu'un préfet reçoit mille pages de circulaires par jour. On asphyxie les territoires ", indique le député.
Opération nettoyage
En mars, l'année dernière, François Hollande a promis de faire le tri dans les réglementations, "un choc de simplification". Désormais, pour créer une nouvelle norme, il faudra en supprimer une plus ancienne. Il s'agit donc de faire le ménage, ce dont est chargé Alain Lambert. L'ancien ministre souhaiterait plus de souplesse dans l'application des normes. "De quoi nous plaignons-nous en France ? D'avoir des difficultés ? Mais nous courons après ces difficultés, nous les créons nous-mêmes. Je pense qu'il faudrait interdire à tous les ministères de produire plus de quelques textes par an ", estime-t-il.
En attendant que le ménage soit fait certains cassent leur tirelire pour faire les travaux demandés alors que d'autres continuent à fonctionner comme ils l'ont fait jusqu'à présent, en priant pour qu'il n'y ait pas de contrôles ou d'inspection. C'est le cas de Christophe Brunel, un hôtelier installé au nord de la Lozère. Pour respecter les normes anti-incendie et la réglementation sur l'accessibilité des personnes handicapées, il devrait débourser 1 million d'euros :
"Normalement, je devrais être fermé depuis juillet, j'ai eu une commission de sécurité non conforme. Mais hors de question de faire les travaux car cela nous coûterait plus cher que la valeur de l'établissement "
Les acteurs concernés par les normes réclament plus de souplesse et surtout plus de concertation, un peu à l'image de ce qui se passe à l'Afnor, l'organisme chargé de définir des normes que chacun est libre d'appliquer ou non.
Pour élaborer une norme, l'Afnor organise des tables rondes, "la norme fait l'objet d'une enquête publique pour savoir si elle convient à tout le monde " précise Olivier Peyrat, le directeur général de l'Afnor. "Les normes repassent aussi un examen de contrôle tous les 5 ans, pour savoir si on la conserve, si on la modifie ou si on la supprime ".
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