Les grands vins, nouvelles victimes de la contrefaçon
Le faussaire a sans doute été très inspiré. Ou pas. Pour créer cette Romanée-Conti du Languedoc au fin fond de la Chine, il s'est inspiré de tout ce qui pouvait faire rêver ses congénères : Romanée-Conti d'abord - le plus célèbres des crus (rouges) de Bourgogne - et Château Lafite (Rothschild), tout aussi célèbre à Bordeaux. Sauf qu'il s'agit, si l'on en croit les petits caractères, d'un vin blanc sec, appellation Côteaux du Languedoc contrôlée, qui n'a pas été mis en bouteilles mais "en montpellier" (sic) par un groupe appelé "France Lafei" (re-sic)... Bref, un faux magnifique, exemplaire.
L'histoire de cette contrefaçon s'est arrêtée net, ou presque. L'INAO, l'Institut national des appellations d'origine, a été saisie par l'appellation Languedoc pour faire le ménage. L'INAO traite ainsi chaque année quelque 300 dossiers viticoles de contrefaçon, dont un peu plus d'un quart en provenance de Chine.
Les faux vins, 20 % du commerce international
Il n'existe pas de chiffre officiel sur la contrefaçon du vin en Chine, mais certains experts avancent que jusqu'à 40 % des vins importés seraient des faux - contrefaçon d'étiquettes, mauvais vin mis en bouteilles dans d'authentiques bouteilles vides vendues au marché noir...
Plus largement, la contrefaçon de vin est aujourd'hui devenue un vrai marché. On estime que les dommages dus à la contrefaçon représentent 20 % du commerce international du vin.
Les faux frappent évidemment les crus les plus prestigieux - rares, donc très chers. Jusqu'à un certain point. Comme le raconte Laurent Ponsot, du domaine de Bourgogne éponyme, qui s'est fait une spécialité de démasquer les faussaires du vin (voir notre encadré, Comment Laurent Ponsot a démasqué le fraudeur de grands crus), les vieilles bouteilles n'existent plus. "Pour aimer il faut détruire" , dit-il. Comprendre : pour aimer le vin il faut le boire. Et à un moment il n'y a plus de vieux vins... Contrairement à un sac à main, que l'on peut reproduire à l'infini ou presque, un vin n'existera que par le raisin qui a été récolté.
Un engouement depuis une vingtaine d'années
"Romanée Conti 1945, il y a eu deux tonneaux de fait. Depuis les 25 dernières années a été vendu l'équivalent d'une dizaine de tonneaux" . Un autre exemple qui le touche de près : "Clos de la Roche 1949 du domaine Ponsot : aujourd'hui il ne doit rester qu'une trentaine de bouteilles ; comment est-ce possible d'en avoir vendu 150 à 200 ces vingt dernières années ?"
Deux exemples parmi tant d'autres. Révélateurs non seulement de l'imagination des faussaires, mais aussi de la frénésie qui a pu s'emparer des acheteurs depuis une vingtaine d'années. "Il y a de l'argent à se faire ", constate Laurent Ponsot. "Il y a eu un engouement pour le vin dans les 25 dernières années, de la part de gens cultivés en Asie ou en Amérique, des gens qui n'ont pas cette culture que nous avons en Europe et qui en sont jaloux ; ils ont voulu acquérir cette culture".
Les faux seraient ailleurs. Ce que confirme Luc Dabadie, expert chez Artcurial, une salle de ventes aux enchères qui vent un bon millier de vins tous les deux mois. "Plus on s'éloigne du marché source, plus les faux sont présents" , dit-il. Ce qui veut dire, a contrario, qu'en France les fraudes sont sans doute plus rares.
D'autant que le risque n'est pas négligeable. Si un expert de salle des ventes tombe sur une fausse bouteille, il doit immédiatement alerter la police. Alors, les faux sont écoulés par d'autres biais. Les sites de vente en ligne, eBay et leboncoin en tête, fourmillent d'annonces plus ou moins sujettes à caution. En toute impunité.
Légalement, ces deux sites ne sont que des hébergeurs. Ils ne jouent qu'un rôle d'intermédiaire et n'interviennent pas dans la transaction. Ils n'ont aucune responsabilité en cas de litige.
Vigilance à tous les étages, donc. Acheter un grand vin nécessite d'être particulièrement méfiant. A défaut d'avoir déjà dégusté le vin, mieux vaut connaître précisément ses caractéristiques.
Les viticulteurs en lutte contre les faux
C'est pour aider les consommateurs - et protéger leur production - que depuis quelques années les viticulteurs eux-mêmes ont cherché des parades. Etiquettes numérotées, bouteilles gravées : d'artisanale, la protection s'est faite progressivement plus technologique.
Et désormais, Internet est régulièrement mis à contribution. Par l'utilisation de codes QR, de code-barres plus ou moins difficiles à reproduire, et même de codes à bulles, vendus comme totalement infalsifiables - c'est cette dernière technologie qui a les faveurs des plus grands domaines, en France et à l'étranger.
Evidemment, aucune technologie n'est parfaitement à l'abri de la falsification. Certains vignerons affirment ainsi que des faussaires n'hésitent pas à percer le cul de la bouteille, au laser, pour la siphonner avant de la remplir à nouveau d'un vin quelconque. La piqûre est paraît-il indécelable...
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