Le mal-être au travail devant la Justice
Tous les salariés font le même récit de ces années de terreur et de souffrance. Les humiliations, le manque de considération, les responsabilités qu’on leur retire et les mises au placard. Il y a par exemple cette assistante de direction rabaissée au rang de secrétaire, ce responsable de la sécurité que l’on affecte aux photocopies et aux poubelles ou encore ce formateur privé de ses heures de cours. Brisée par les menaces et les vexations, Marylène Caboche, 46 ans dont 19 années passées à Sup de Co Amiens, a fait deux tentatives de suicide. Elle est en arrêt de travail depuis novembre 2009. "J’ai la haine, aujourd’hui encore. Je ne passe pas une nuit sans faire de cauchemars, j’ai doublé mon traitement de médicaments et j’ai la haine contre eux parce qu’ils m’ont cassée, ils m’ont broyée. J’ai toujours fait tout ce que je pouvais. J’ai donné tout mon temps, travaillé des samedis, des dimanches et sans jamais compter mes heures. J’aimais trop l’école. Je me disais qu’il y avait toujours tout un tas de choses à faire. Et jamais de reconnaissance, jamais de promotion, jamais d’augmentation. Pourquoi ? ". Marylène Caboche attend justement ce procès et espère avoir des réponses aux questions qui la hantent depuis trois ans. L’une de ses collègues, qui se plaignait également de harcèlement, s’est défenestrée, depuis son bureau, à Sup de Co. C’était en juillet 2009.
Course à la réussite
Les dirigeants de l’école demandaient toujours plus à leurs salariés. Journées à rallonge, ordres toujours plus nombreux, surcharge de travail... sans compensation ni reconnaissance. Une assistante pédagogique devait par exemple s’occuper de deux promotions, c’est-à-dire 650 élèves. Ceux qui osaient se plaindre étaient déclassés, humiliés. "On arrive à tenir des propos et à avoir des comportements qui visent à rabaisser et à fragiliser la personne ", dénonce Hubert Delarue, avocat de 4 des 7 plaignants. "Vous n’arrêtez pas de vous plaindre, êtes-vous si capable que ça, vous êtes dépressive eh bien suicidez-vous si ça ne va pas" … Il y a notamment des notes échangées entre certains responsables de l’école qui écrivent qu’ils frisent l’illégalité et on voit qu’il y a une forme d’inquiétude qui se fait jour ", note l’avocat. Peu de temps après le suicide de l’une des salariés de Sup de Co, une enquête de la médecine du travail a mis en évidence la grande souffrance psychologique des employés de l'école : un salarié sur cinq faisait état d'un mal-être et d'une situation de stress très importante.
Les dirigeants poursuivis
Sur le banc des prévenus prendront place quatre dirigeants de cette école. Principal accusé le directeur général de l'établissement, Jean-Louis Mutte. Avec trois de ses collègues, il est poursuivi pour ces faits de harcèlement. Et s’il s’exprime aujourd’hui, c’est pour dire son incompréhension face aux plaintes qui le visent. "J’ai dirigé des milliers de gens, j’ai eu la responsabilité de plus de 30.000 personnes dans des contextes qui sont très difficiles, je n’ai jamais connu ce genre de situation et j’ai toujours eu à me féliciter des relations que j’avais avec mon personnel et réciproquement. La porte de mon bureau est toujours ouverte, le tutoiement me vient assez vite. Cela facilite la communication et d’apaiser les problèmes quand il y en a. Tous ces événements sont très dommageables pour une très belle école qui tient sa place dans le monde des grandes écoles ". Et effectivement, cette affaire a porté un coup dur à l’école… En septembre 2009, avant que l’affaire n’éclate, 210 élèves sont entrés en première année à Sup de Co Amiens. Ils n’étaient que 56 à intégrer l’école à la dernière rentrée, celle de 2011.
Les sept victimes souhaitent que soit reconnue la culpabilité des dirigeants de Sup de Co, que leur souffrance soit enfin entendue. Depuis trois ans, les plaignants sont en arrêt de travail longue durée. Précisons également que les dirigeants poursuivis sont toujours en poste aujourd’hui à Sup de Co Amiens. Une situation que ne comprend pas Thierry Léger, 49 ans, ancien responsable de la maintenance des locaux, en arrêt de travail depuis février 2009. "Ils sont toujours à la direction de Sup de Co, il n’y a pas eu d’enquête, ils ont laissé ces gens-là. Le président de la CCI, quand on l’a alerté avec toutes les lettres recommandées, n’a même pas daigné répondre. Ils sont toujours en place, les mêmes ! C’est ignoble, ignoble, ignoble. Le mal qu’ils m’ont fait, je ne pardonnerai pas. On a que ça dans la tête nous, toute la journée, on n’a plus de travail pour s’occuper, on n’a que ça dans la tête, jour et nuit ". Les quatre dirigeants de l’école encourent un an de prison et 15.000 euros d’amende. L’année dernière, le procès avait été ajourné après le dépôt par l’un des avocats de la défense d’une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité.
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