Droits de plantation : le monde du vin face à la libéralisation
C'est une petite exploitation dans une petite appellation. Lionel Truet cultive amoureusement ses quatre hectares de vignes, en Touraine, à quelques kilomètres du château d'Amboise. Ancien cadre de la SNCF, il a vécu un retour à la terre en 1990, et vit aujourd'hui sa passion. Son appellation, l'AOC Touraine-Amboise, existe depuis les années 50, même si sa réputation reste moindre que celle d'autres vins de Loire, comme les Vouvray, mondialement connus.
Ce sont des vignerons comme lui qui se sentent les plus menacés par la réforme votée en 2008 par les ministres européens de l'Agriculture. Censée favoriser la compétitivité de la filière vin européenne, celle-ci supprime, entre autres mesures, les droits de plantation.
Instaurés à la fin des années 70 et au départ provisoires, ils sont le sésame indispensable pour qui veut cultiver de la vigne. Sans droit de plantation, pas de pied. "Avec la libéralisation des droits de plantation, on pourra faire du vin n'importe où ", s'inquiète Lionel Truet. Pour lui, cette possibilité risque d'amener à la destruction des petits terroirs comme le sien, qui répondent à un cahier des charges contraignant. Des vins de Loire ou du "Val-de-Loire" seraient produits à proximité immédiate, et le public risque de se détourner des siens, plus chers, car "mieux produits".
Des vins trop compliqués, trop élitistes
Pour les grands négociants en vin, qui ont soutenu la réforme, ce morcellement de l'offre française en vins de caractère est justement le problème. "On a créé trop d'appellations ces dernières années : 400. Et le monde ne les reconnaît pas toutes ", soupire Ghislain de Montgolfier, président de l'Agev (Association générale des entreprises viticoles). Alors que la consommation est en baisse en Europe, traditionnellement premier marché mondial, les négociants se tournent vers les Etats-Unis, l'Amérique du sud ou l'Asie, en expansion.
Mais là-bas, le consommateur a d'autres réflexes. Loin de chercher le "petit vin de derrière les fagots", il est attiré par des noms qu'il connaît, principalement des noms de cépages, c'est-à-dire du type de raisin utilisé, et se détourne des assemblages. Chardonnay, Pinot noir, Cabernet Sauvignon, Muscat. Tels sont les mots-clés qui attirent en priorité 75% des consommateurs américains. Et les vins français sont vus comme trop compliqués, trop élitistes.
Scénario catastrophe
Pour les négociants, il y a urgence. Les conditions sont favorables à la viticulture européenne car la crise de surproduction est passée, et la demande est forte. Mais d'autres continents se préparent, comme l'Amérique du sud, où d'ailleurs certaines grands vins français investissent, pour produire dans des conditions moins sévères que dans leurs terroirs d'origine. Ainsi le Chili va-t-il mettre en culture 100.000 hectares de vignes supplémentaires, soit presque l'équivalent du vignoble bordelais.
Mais si les syndicats agricoles admettent qu'il faut conquérir les marchés internationaux, ils estiment que la libéralisation est la plus mauvaise solution. Jérôme Despey, viticulteur dans l'Hérault, et chargé du vin à la FNSEA, cite l'exemple de l'Australie où la libéralisation a permis à des investisseurs d'acheter des vignes. Mais après des aléas climatiques ou des retournements de conjoncture économique, ils se sont retirés, laissant des terres en friche, où les vignerons ont disparu. Un scénario-catastrophe qu'il juge possible en France.
A travers la structure France Agrimer, qu'il préside, il souhaite organiser un dialogue dans la profession pour moderniser les structures réglementaires, plutôt que de les supprimer. Notamment en associant les négociants à la gestion des fameux droits de plantation, pour que les impératifs commerciaux soient mieux pris en compte. Proposition que ne déclinent pas les intéressés, tout en attendant de voir comment vont tourner les nouvelles négociations de Bruxelles, qui doivent se clore à la fin de l'année.
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