Révolution culturelle en Arabie saoudite : les femmes arrivent sur le marché de l'emploi
En 2018, le royaume affichait l'un des taux d'activité des femmes parmi les plus bas au monde. Fin 2020, la barre se redressait avec une Saoudienne active sur trois.
Jusqu'ici, le royaume d'Arabie saoudite était complètement dans les choux. En 2018, moins de 20% des Saoudiennes avaient un emploi ou en cherchaient un. L'un des taux d'activité des femmes les plus bas du monde. Mais en deux ans, les choses ont radicalement changé. Ce sont des chercheurs américains de la Brookings Institution qui le soutiennent dans leur rapport publié en avril dernier. Car fin 2020, on n'était plus à 20% mais à 33%. Une Saoudienne sur trois est désormais active sur le marché du travail, principalement dans le secteur privé.
Une féminisation qui défie les lois statistiques. Souvenez-vous, ce n'est qu'en 2012 que les femmes en Arabie saoudite ont eu le droit de travailler ailleurs que dans des bureaux. Et encore, à l'époque on les avait cantonnées aux boutiques de lingerie et de cosmétique pour qu'elles ne soient pas soumises au regard des hommes. Le royaume ultra-conservateur a fait sa mue beaucoup plus tard mais beaucoup plus vite finalement que n'importe quel pays occidental.
Le point de départ ? Une volonté politique
Avec son plan de modernisation Vision 2030, qui vise à diversifier l'économie pour sortir à la fois de l'ère du tout-pétrole et d'une société rentière écrasée par un islam rigoriste, le prince Mohammed Ben Salmane a permis aux femmes (qui représentent 45% de la population), de devenir plus visibles dans la société, de se rapprocher du monde du travail.
Depuis trois ans, elles peuvent passer leur permis et conduire seules [article en anglais], créer leur entreprise et voyager sans avoir besoin de l'autorisation d'un homme de la famille. Et depuis le 8 juin 2021, c'est tout récent, elles sont même autorisées à vivre seules. Il y a eu des allègements de la loi sur la tutelle, des changements aussi dans le droit du travail.
À tel point que dans le rapport de la Banque mondiale paru cette année sur les femmes, les entreprises et le droit, l'Arabie saoudite apparaît comme l'un des pays les plus performants dans ce domaine. Aujourd'hui, certaines femmes dirigent des banques, sont cheffes d'entreprise, gardes-frontières, policières ou encore serveuses. L'objectif de Vision 2030 était qu'une femme sur trois travaille dans le pays : il est atteint avec 10 ans d'avance.
L'épidémie de coronavirus, un accélérateur
Mais le succès n'est pas dû qu'à ça. D'autres chercheurs du même think tank américain pensent que c'est surtout l'épidémie de coronavirus qui a donné un énorme coup d'accélérateur à cette irruption des femmes sur le marché de l'emploi.
Saudi women may have taken some of the jobs held by expatriate workers who left Saudi Arabia in the wake of the COVID-19 pandemic—particularly in wholesale and retail, construction, manufacturing, and administrative and support service activities. https://t.co/AqPZRmRlzl pic.twitter.com/sXsbC1lH11
— Brookings Global (@BrookingsGlobal) June 10, 2021
Parce que jusqu'au printemps 2020 à peu près, plusieurs millions de migrants indiens, philippins ou pakistanais qui étaient venus profiter de l'eldorado du Golfe ont perdu leur emploi et sont rentrés chez eux.
Lorsque l’économie est repartie au troisième trimestre mais que les frontières étaient encore fermées, les entreprises se sont tournées vers les Saoudiennes pour remplacer ces travailleurs migrants, dans tous les domaines : commerce, construction, industrie manufacturière, services administratifs, hôtellerie et restauration. Des femmes plutôt que des hommes parce qu'elles acceptent plus facilement de travailler pour des bas salaires même si elles sont en majorité mieux diplômées.
#Nassima est emprisonnée en raison de son travail de défense des droits des femmes en #Arabie_saoudite. Il arrive que plusieurs mois s’écoulent sans qu’elle puisse voir ses enfants et son avocat. Signez la pétition maintenant et demandez sa libération. https://t.co/Mc8Aov5OwK https://t.co/J2HJcuMNBP pic.twitter.com/uKh1UWqNM8
— Speak For Rights (@SpeakForRights) December 5, 2020
Cette émancipation récente par le travail est bien sûr loin d'être un conte de fées : elle cache des inégalités salariales importantes dans un pays ultra-répressif où il reste impossible de militer pour les droits fondamentaux sans passer par la case prison. Elle ne doit pas faire oublier le fait que les Saoudiennes ont encore de nombreux droits à conquérir.
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