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Melilla : la violence de l'assaut collectif des migrants en question

L'Espagne et le Maroc toujours sous le choc ce lundi après le drame qui s'est joué aux portes de l'enclave espagnole de Melilla. Les affrontements sans précédents entre migrants africains et forces de l'ordre ont fait au moins 23 morts.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 92 min
Un membre des forces de sécurité marocaines face au mur de barbelés à l'enclave espagnole de Melilla au Maroc, le 26 juin 2022. (FADEL SENNA / AFP)

Jamais les migrants n'avaient tenté un tel passage en force, aussi massif et aussi violent. C'est avec des bâtons, des barres de fer, des sacs à dos remplis de pierres qu'ils se lancent vendredi 24 juin contre les barrières métalliques de la frontière de l'enclave espagnole de Melilla, six mètres de haut par endroits. Ils réussissent à forcer l'accès du contrôle aux frontières. Les forces de sécurité marocaines répliquent : gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, coups de matraque. Les migrants, majoritairement soudanais, meurent étouffés ou piétinés. 
Dimanche 26 juin, les Espagnols ont manifesté dans tout le pays en signe de solidarité.

Le chef de la Commission de l'Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, dénonce "le traitement violent et dégradant de migrants africains" et réclame une enquête. Même demande au Maroc de la part des associations de défense des droits de l'homme, qui appellent l'ouverture d'une enquête "sérieuse et transparente" pour déterminer les responsabilités et les manquements. 

Si les autorités estiment le nombre de morts à 23, des ONG telles que Caminando Fronteras parlent de 37 décès. D'autres, comme AMDH Nador, alertent contre toute tentative d'ordonner l'enterrement rapide des migrants subsahariens et soudanais: les autorités marocaines ont en effet déjà commencé à préparer plusieurs tombes dans le cimetière de Sidi Salem, à la périphérie de la ville de Nador, alors même que tous les cadavres n'ont pas été ni identifiés ni autopsiés.

Ceuta (20 kilomètres carrés) et Melilla (12 kilomètres carrés), deux confettis espagnols situés à l’extrême nord géographique du Maroc, sont revendiqués depuis 1956 par le Maroc. À partir de 1998, pour empêcher l’immigration illégale, l’Espagne a commencé à y construire des barrières, partiellement financées par l’Union européenne, composées de clôtures parallèles surmontées par des barbelés et régulièrement renforcées au fil du temps. 

Plusieurs tentatives collectives

Ce n'est pas la première fois que les migrants tentent une incursion collective. Début mars déjà il y avait déjà eu plusieurs essais, dont la plus importante jamais enregistrée à ce point de passage : quelque 500 migrants étaient parvenus à passer sur un total de 2 500. En 2021, dans la nuit du 16 au 17 mai, 8 000 à 9 000 migrants (dont au moins 2 000 mineurs non accompagnés) ont eux traversé à la nage ou à pied la frontière entre le Maroc et Ceuta. Il y avait eu au moins deux morts.

Pourquoi un tel assaut maintenant ? Parce que depuis plusieurs semaines, les policiers marocains ratissent et détruisent régulièrement les campements des clandestins qui survivent dans la forêt du Gourougou, juste en face de la frontière avec Melilla, ce bout d'Espagne de 12 km2 situé en territoire marocain, antichambre de l'Union européenne. Intimidations, pressions, arrestations ont fini par créer selon les ONG un contexte hautement inflammable, qui a poussé les migrants à tenter le tout pour le tout.

Madrid et Rabat coopèrent contre l'immigration illégale

Et si les autorités marocaines font du zèle, c'est parce que Rabat et Madrid se sont réconciliées mi-mars après être une année de brouille diplomatique. Le Maroc et l'Espagne ont rouvert leurs frontières et repris leur coopération en matière de migration illégale.

Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, a d'ailleurs salué ce week-end le travail de la gendarmerie marocaine en dénonçant les "mafias" qui se livrent au trafic d’êtres humains. Ce drame est le symbole de la politique d’externalisation des frontières. Pour Amnesty International, les trafiquants d'êtres humains et les passeurs sont chaque fois pointés du doigt, mais c'est d'abord l'Union qui est responsable en sous-traitant sa protection au Maroc, elle ne permet pas que ces migrants, qui viennent surtout d'Afrique subsaharienne, et notamment du Darfour, où une nouvelle flambée de violence a récemment fait des centaines de morts et 50 000 déplacés fassent valoir leurs droits. Or selon l'ONG ils peuvent prétendre au statut de réfugié et devraient bénéficier d'une protection internationale.

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