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Liban : le fardeau de la République multiconfessionnelle

Le principe même de République confessionnelle, longtemps louée pour sa capacité à faire la synthèse de la mosaïque de communautés religieuses qui composent le pays, est aujourd'hui accusée de tous les maux. Et les voix s'élèvent pour demander la création d'un Etat laïc.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un drapeau national barre l'entree (aux voitures) du quartier chrétien d'achrafieh, en direction du centre-ville de Beyrouth lors des manifestations de l'automne 2019. (BILAL TARABEY / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Pour la seconde fois en moins d'un mois, Emmanuel Macron est à Beyrouth, dans un pays plongé en pleine crise politique et économique. Le principe même de République confessionnelle, longtemps louée pour sa capacité à faire la synthèse de la mosaïque de communautés religieuses qui composent le pays, est aujourd'hui accusée de tous les maux. Et les voix s'élèvent pour demander la création d'un Etat laïc.

Au Liban, ce sont les principales communautés religieuses qui se partagent le pouvoir politique. Dans ce pays de moins de 7 millions d'habitants, à peine plus grand que la Corse, coexistent pas moins de 18 confessions différentes. Les postes-clés reviennent de droit aux trois confessions majoritaires : la Présidence de la République est systématiquement un chrétien maronite, le Premier Ministre un musulman sunnite et le Président du parlement un musulman Chiite.

Source de blocages

Cette répartition, confortée par le Pacte national (non écrit) scellé au moment de l'indépendance, en 1943, est immuable. Problème : cette troïka ne fonctionne que lorsque les trois présidents sont sur la même longueur d'onde, car chacun d'un dispose d'une capacité de blocage. A chaque élection présidentielle ou chaque formation de gouvernement, le pays se retrouve pris dans une crise politique interminable, voire une vacance de pouvoir, car aucun mécanisme n'existe pour faciliter un accord.

Des statistiques vieilles de... 77 ans

Sur dix Libanais, environ six sont musulmans (répartis à parts égales entre Sunnites et Chiites, sans compter les druzes) et quatre sont chrétiens (essentiellement maronites, mais aussi Grecs orthodoxes, protestants, assyriens, chaldéens ou coptes, etc).

Mais les derniers chiffres fiables remontent à... 1932, date du dernier recensement, effectué sous mandat français. La cohabitation entre les différentes communautés est tellement fragile que le pays n’a jamais conduit d'autres statistiques, de peur de faire renaître des tensions. N'oublions pas que c’est, en partie, ce qui a jeté le pays dans une guerre civile de 15 ans, de 1975 à 1990, avec plusieurs dizaines de milliers de victimes.

Rejet de l'Etat confessionnel

Cette République confessionnelle, les Libanais n'en veulent plus. Parce qu'elle a fragilisé l’unité nationale en créant de la défiance entre communautés; parce qu'elle a ouvert la porte au clientélisme et à la corruption, affaiblissant l’Etat central. Aujourd'hui ce sont les "barons" de ce système qui entravent tout renouvellement du personnel politique (plusieurs familles se partagent le pouvoir de génération en génération), gouvernent selon leurs propres intérêts et font obstacle aux réformes de fond dont le pays, en état de déliquescence, a besoin pour se relever. L'explosion tragique du 4 août a agi comme le révélateur de trop.

Face à l’Etat, une grande partie des Libanais réclament de redevenir des "citoyens", plutôt que de rester "membres d’une communauté religieuse". Même si cela fait dix ans qu'ils ne sont plus contraints de préciser leur religion sur leur fiche d’état civil, la mention de la confession est encore requise dans de nombreuses formalités administratives.

La fin de ce carcan était une revendication des gigantesques manifestations de l’automne 2019, mais déjà en 2015 au moment de la crise des poubelles : la rue libanaise réclame un Etat civil, un Etat laïc.

Cette demande est tellement pressante que même les élites politiques, pourtant elles-mêmes issues de ce système, ont fini par demander à "sortir de l'Etat confessionnel".

La veille de la visite d'Emmanuel Macron, le président Michel Aoun a reconnu qu'il représentait "un obstacle à tout développement (..), à toute réforme et à toute lutte contre la corruption" et qu’il était même "générateur de conflits". Jusqu'au chef du Hezbollah, le puissant mouvement chiite allié au parti présidentiel (le seul mouvement à ne pas avoir déposé les armes à la fin de la guerre civile), qui s'est dit disposé à discuter d’un nouveau "pacte politique".

On verra si Moustapha Adib, le tout nouveau premier ministre, réussira à transformer en actes ces paroles opportunistes. Il en va de la survie même d'un pays en panne de gouvernance.

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