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Guerre d'Algérie : la France reconnaît l'assassinat d'Ali Boumendjel, geste symbolique mais pas anecdotique

Ce geste d'apaisement sur la question de la colonisation est conforme à la politique des "petits pas", préconisée par l'historien Benjamin Stora, qui en janvier a remis un rapport sur la colonisation au chef de l'État français.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Malika Boumendjael, veuve de l'avocat algérien Ali Boumendjael (en photo), à Puteaux (Hauts-de-Seine), le 5 mai 2001. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Emmanuel Macron a donc finalement reconnu, "au nom de la France", que l’avocat Ali Boumendjel a bien été "torturé et assassiné" par l’armée pendant la guerre d'Algérie.

Le contexte ? L'année 1957 : la bataille d'Alger entre nationalistes algériens et paras de l’armée française. Ali Boumendjel est alors avocat, il a 38 ans, c'est un intellectuel militant, engagé pour l’indépendance, qui s'est récemment rapproché du FLN, le Front de libération nationale.

Arrêté le 9 février, il est placé au secret et torturé dans différents lieux de la capitale. Le 23 mars, il "tombe" du sixième étage d’un immeuble sur les hauteurs d'Alger. Officiellement, c'est un suicide. Ses parents ne verront jamais son corps.

>> Guerre d'Algérie : quatre questions sur la reconnaissance par la France de l'assassinat de l'avocat et dirigeant Ali Boumendjel

Il faudra attendre l'an 2000 et les confessions de l'ancien responsable des services de renseignement français pour que la vérité éclate au grand jour : Ali Boumendjel ne s'est pas défenestré, il a été assassiné. "C'est même moi", assure le général Aussaresses, "qui en ai donné l'ordre". Le choc est immense. La famille Boumendjel demande sa réhabilitation, sans succès. Il y a quelques semaines encore, elle dénonçait un "mensonge d'État dévastateur".

Si le président de la République reconnaît aujourd'hui la responsabilité de la France, c'est qu'à sa demande, le 20 janvier 2021, l’historien Benjamin Stora lui a remis un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Pour apaiser les tensions, le spécialiste préconise une politique "des petits pas", "sur des sujets sensibles".

On attendait la réponse politique. Elle est venue mardi 2 mars, quand Emmanuel Macron a reçu officiellement quatre des petits-enfants d'Ali Boumendjel. "C'est pour eux, pour la jeunesse française et algérienne", dit le chef de l'État, "qu'il nous faut avancer sur la voie de la vérité". Car il n'y a que la vérité "qui puisse conduire à la réconciliation des mémoires".

Le communiqué publié par l'Élysée ajoute que cette reconnaissance ne sera pas un acte isolé, qu'il faut "regarder l'Histoire en face" et "qu'aucun crime, aucune atrocité commis pendant la guerre d'Algérie ne peut être excusé ou occulté".

Une reconnaissance des faits, mais pas d'excuses

Pour autant, on est loin des excuses réclamées par les Algériens. La reconnaissance des faits, oui. Mais pas de "repentance", pas "d'excuses" pour les crimes de la colonisation, c'est la ligne de l'Élysée, celle aussi du rapport Stora, qui, sur cette question, a d'ailleurs été très critiqué de l'autre côté de la Méditerranée, car jugé beaucoup trop tiède. Le porte-parole du gouvernement algérien l'a même jugé "en deçà des attentes" d’Alger, notamment parce qu'il place "sur un pied d’égalité la victime et le bourreau", comme si "la peine de chacun valait celle de l’autre".

Source de crispation et de malentendus permanents entre Paris et Alger, la réconciliation mémorielle est une affaire de temps, quand les Algériens ont toujours le sentiment que l’Histoire a été dissimulée, voire confisquée. Le geste de la France est aujourd'hui symbolique, mais pas anecdotique, alors que l'an prochain, l'Algérie fêtera les 60 ans de son indépendance sur fond de contestation du régime.

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