Espagne : pour la première fois une victime du régime de Franco est entendue par un juge
L'audience a lieu vendredi 15 septembre dans un tribunal de Madrid. À la barre, Julio Pacheco Yepes, 67 ans. En février 2023, après des années de recherches de preuves et de procédures, il a porté plainte contre quatre membres de la police politique de Franco. Quatre hommes qui, en août 1975, juste avant la mort du Caudillo, l'ont torturé pendant plusieurs jours dans les locaux de la sinistre Direction générale de la sécurité, sur la Puerta del Sol. Son crime : être membre d'une organisation étudiante antifranquiste d'extrême gauche. Julio Pacheco sera ensuite envoyé en prison et accusé de terrorisme.
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La loi d'Amnistie de 1977, un pacte pour l'oubli
Ce genre d'audience n'a jamais eu lieu, à cause de la loi d'Amnistie adoptée en 1977 - deux ans après la mort de Franco. Une loi, votée par l'ensemble des partis politiques de l'époque, qui interdit de poursuivre le moindre délit commis sous la dictature par les fonctionnaires d'État. Même le célèbre juge Baltazar Garzón s'y est cassé les dents, poursuivi pour avoir voulu ouvrir une enquête.
Ce pacte de réconciliation a certes permis à l'Espagne de réussir sa transition vers la démocratie, mais c'est aussi un pacte de l'oubli et du silence qui l'a empêché de solder son passé. Dans plusieurs rapports, l'ONU a d'ailleurs appelé l'Espagne à juger les criminels franquistes pour crimes contre l'humanité car "la torture, les exécutions arbitraires ou la disparition forcée peuvent constituer des crimes contre l'humanité".
Ces 45 dernières années des centaines de plaintes ont été déposées, mais elles ont été systématiquement jugées irrecevables. Sauf celle de Julio Pacheco. La juge en charge de son dossier estime qu'il s'y cache peut-être des crimes contre l'humanité, justement imprescriptibles au regard de la législation internationale. Ça ne veut pas dire qu'à l'issue de l'audience elle décidera un renvoi en justice. Elle peut très bien classer l'affaire. Mais aucune victime n'est jamais arrivée à ce stade, jusque dans un tribunal.
Regarder le passé en face, encore nécessaire en 2023
Julio Pacheco voudrait que son témoignage ouvre "une brèche dans le mur de l'impunité". Même si de nombreux tortionnaires sont morts en 2023, sans avoir jamais été inquiétés.
D'ailleurs voir ses bourreaux sur le banc des accusés, il n'y croit pas trop. Il sera déjà satisfait si son histoire permet à l'Espagne de regarder en face ce qu'était le franquisme.
L'extrême droite installée dans le paysage politique
Un exercice d'autant plus nécessaire que l'extrême droite s'est installée dans le paysage politique espagnol, avec le parti Vox, dont certains élus ne cachent pas leur admiration pour la période de la dictature.
Une loi adoptée en 2022 interdit pourtant toute exaltation publique du général Franco et de son régime. Une loi sur la "mémoire démocratique" qui réhabilite surtout les victimes à travers tout un dispositif de reconnaissance et d'indemnisations. La droite et l'extrême droite l'accusent de concert de rouvrir inutilement les blessures du passé. Julio Pacheco répond : "la seule façon de refermer les blessures, c'est la vérité (...) Sinon, elles saigneront pour toujours".
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