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Emeutes au Sénégal : pourquoi la jeunesse est dans la rue

Le Sénégal fait face à un cycle de violences sans précédent. Les manifestations ont fait cinq morts la semaine dernière. De nouvelles protestations sont prévues. Retour sur les raisons de la colère.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des manifestants dans une rue de Dakar (Sénégalà réclament la libération de Ousmane Sonko, principal opposant du président Macky Sall, le 6 mars 2021. (NATHANAËL CHARBONNIER / ESP - REDA INTERNATIONALE)

C'est une petite étincelle qui a tout fait exploser au Sénégal : l'arrestation d'Ousmane Sonko, député de l'opposition, arrivé troisième à l'élection présidentielle de 2019 - et surtout très bien placé pour celle de 2024. C'est même le principal concurrent de l'actuel chef de l'État, Macky Sall. 

Ousmane Sonko est anti-système, anti-élite, très populaire chez les jeunes (au Sénégal, la moitié des habitants ont moins de 20 ans). Mercredi 3 mars, à Dakar, il doit être entendu par un juge : l'employée d'un salon de massage, où il a ses habitudes, l'accuse de viol et de menaces de mort. Un "coup monté", un "complot" pour l'éloigner de la course à la présidence selon ses partisans. Ousmane Sonko n'ira pas jusqu'au tribunal : il est arrêté dans la rue, au millieu de son cortège de partisans, pour "troubles à l'ordre public". 

L'événement sert de détonateur face aux frustrations de la jeunesse, maintenue sous couvre-feu et appauvrie ces derniers mois par la pandémie de coronavirus (qui a lourdemenbt pesé sur l'économie informelle), sans perspective. Une jeunesse qui n'a souvent d'autre choix que de tenter la dangereuse route de l'exil maritime vers les îles Canaries pour rejoindre l'Europe.

Trois jours d'émeutes

Les manifestations pour demander la libération de Sonko se transforment rapidement en émeutes : affrontements entre jeunes et forces de l'ordre, magasins pillés, établissements publics et médias proches du pouvoir attaqués. Les mots d'ordre des protestataires : plus de "démocratie", de "justice" et de "considération".
Trois jours suffisent pour que le modèle sénégalais de stabilité vole en éclat. Une situation insurrectionnelle sans précédent dans l’histoire récente du pays.

C'est principalement le chef de l'État qui est visé. Fin février, Macky Sall nie être en quoi que ce soit responsable des ennuis judiciaires d'Ousmane Sonko. Mais la rumeur lui prête l'intention d'un troisième mandat (qui pour l'instant n'est pas autorisé par la Constitution). De fait, quasiment tous ses opposants ont été écartés.

Des entreprises françaises visées

Les protestataires reprochent surtout à Macky Sall (au pouvoir depuis 2012 et réélu en 2019 à l’issue d’un scrutin controversé) sa proximité avec la France et les entreprises françaises installées au Sénégal. La signature de gros contrats dont les retombées sont invisibles pour la population.

Ousmane Sonko et son parti attisent ce ressentiment. L'opposant accuse le chef de l'État d'être l'artisan d'une  "recolonisation économique." C'est d'ailleurs l'une des rares personnalités politiques d’Afrique francophone à demander une refonte des relations avec la France.

C'est aussi ce qui explique que de nombreuses entreprises françaises aient été visées pendant les manifestations : 14 supermarchés Auchan attaqués selon la direction du groupe, mais aussi des boutiques Orange et des stations Total.

Les ambassades "préoccupées"

En prévision de nouveaux affrontements, des blindés de l'armée ont été positionnés ce lundi sur la place de l'Indépendance, près des grandes institutions et de la présidence, elle-même placée sous haute protection. 

À Paris, le ministère des Affaires étrangères demande aux expatriés français "de rester très vigilants, d’éviter les déplacements". Les écoles de tout le pays vont rester fermées cette semaine.

Ousmane Sonko a été présenté ce lundi à un juge d'instruction, qui a ordonné de le relâcher sous contrôle judiciaire. Cette décision va sans doute jouer sur l'ampleur et la poursuite d'une mobilisation qui inquiète malgré tout les chancelleries.

Après le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a appelé « à éviter une escalade », plusieurs ambassades (pays européens, Etats-Unis, Japon) ont à leur tour exprimé leur "préoccupation". Soulignant que le Sénégal ne doit pas oublier sa "longue histoire d'Etat de droit, de démocratie participative, de tolérance et de respect des droits humains".

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