"Coupé du monde", mal informé, paranoïaque... Les obsessions de Vladimir Poutine racontées par un ancien officier de sécurité
Vladimir Poutine est un président "devenu un criminel de guerre". Gleb Karakulov ne veut plus cautionner l'invasion russe en Ukraine. Et surtout il ne veut plus se taire. L'ancien officier du service de sécurité de Vladimir Poutine s'est confié en décembre à un média d'investigation basé à Londres, Dossier Center (en anglais), financé par l'opposant russe Mikhail Khodorkovsky. Dix heures d'entretien au total publiés mardi 4 avril, après vérification et recoupement.
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Le 14 octobre - à la va-vite - il empaquette sa vie dans trois valises, il prend sa femme et son bébé sous le bras et, alors qu'il est au Kazakhstan avec le chef de l'Etat, il prend la fuite en Turquie après avoir été, pendant 13 ans, l'un des membres du FSO, le prestigieux service de protection de Vladimir Poutine. En tant qu'ingénieur, il était chargé d'assurer et de sécuriser les communications du président et du premier ministre, notamment pendant leurs déplacements.
Il dit avoir commencé à ouvrir les yeux lors d'un voyage professionnel en Crimée en 2014, juste après le referendum. "Les gens n'avaient pas voté à 97 % pour le rattachement à la Russie comme on nous le disait, c'était plutôt du 50 - 50". La mobilisation décrétée le 21 septembre 2022 lui fait ensuite prendre conscience que même s'il démissionne de son poste, il devient officier de réserve et peut être envoyé au front. "Je ne pouvais pas accepter de participer à cette guerre criminelle", insiste Gleb Karakulov.
Poutine "s'est coupé du monde"
Gleb Karakulov décrit un dirigeant isolé, très éloigné des nouvelles technologies. Pendant toutes ses années de services, jamais il n'a vu Vladimir Poutine utiliser internet, jamais il ne l'a vu avec un téléphone portable. "J'ai pu constater à quel point les nouvelles qui lui parviennent sont déformées", dit l'ex-membre du FSO. Il confirme que le président russe s'informe uniquement par la bouche de son entourage et par les rapports des services secrets.
Dans tous ses déplacements, dit Gleb Karakulov, on le suit avec une cabine de communication ultra-sécurisée, "une cabine de négociation". Un cube d'environ 2,5 mètres de haut équipée d'un poste de travail et d'un téléphone où le chef de l'Etat peut parler sans craindre que la conversation soit entendue ou lue par les services de renseignement étrangers. En octobre 2022, il a même commandé à l'ambassade de Russie au Kazakhstan un bunker sur le même modèle.
Où qu'il aille en déplacement, chambre d'hôtel ou résidence, Vladimir Poutine veut également impérativement avoir accès aux chaînes de télévision russes, dont "Russia". Gleb Karakulov estime que le président russe a changé. "Lorsqu'il est devenu premier ministre, puis président, il était énergique, actif. Aujourd'hui, il est très renfermé, affirme-t-il. Il s'est coupé du monde par toutes sortes de barrières, la quarantaine, l'absence d'information. Sa perception de la réalité s'est déformée".
Faux cortèges de véhicules
Gleb Karakulov confirme également une forme de paranoïa chez le président russe. Vladimir Poutine évite le plus possible de prendre l'avion, il préfère voyager dans un train blindé - qui de l'extérieur ressemble à un train tout à fait ordinaire, "gris avec une bande rouge". "Nous avons commencé à l'équiper vers 2014 ou 2015", raconte l'ancien officier du service de sécurité.
De faux cortèges de véhicules quittent régulièrement ses résidences officielles pour brouiller les pistes. Lorsque qu'il était à Sotchi, les responsables de la sécurité faisaient venir un avion et partir un cortège, pour faire croire qu'il partait, "alors qu'en fait il restait", assure Gleb Karakulov. "Les gars parlaient de cela en riant vraiment." Une tentative pour semer la confusion, d'abord dans les services de renseignement, ensuite pour éviter les tentatives d'assassinat.
Vladimir Poutine a aussi installé des bureaux identiques dans plusieurs endroits, à Saint-Pétersbourg, Sotchi et Novo-Ogaryovo, avec des détails correspondants jusqu'au bureau et aux tentures murales. "Les rapports officiels indiquent parfois qu'il se trouve à un endroit... alors qu'il est en réalité à un autre", résume Gleb Karakulov.
Un pool d'employés "propres"
Cette paranoïa s'exprime aussi face aux maladies et aux virus. Depuis 2020, Vladimir Poutine participe à distance à la plupart des événements. Comme tous ses collègues, Gleb Karakulov devait se mettre en quarantaine pendant deux semaines avant chaque événement officiel, même si ça ne devait durer que 15 ou 20 minutes.
Il y a un pool d'employés toujours "propres" dit-il. "Ce n'est qu'à cette condition qu'on peut travailler dans la même pièce", que le chef de l'Etat. Les collaborateurs les plus proches du président doivent se soumettre à des tests PCR plusieurs fois par jour.
Toutefois, l'ancien officier dément les rumeurs sur l'état de santé de Vladimir Poutine et assure que le président russe est en parfaite condition physique. "Il est en meilleure santé que beaucoup d'autres personnes de son âge. Il a des visites médicales annuelles", déclare-t-il. "En 13 ans, seul un ou deux voyages officiels ont été annulés parce qu'il était malade."
"Parlez à Poutine, dites-lui que c'est un crime"
A la fin de son entretien, Gleb Karakulov s'adresse aux officiers russes de son ancien service : "Vous êtes en possession d'informations qui ne sont pas diffusées à la télévision. Parlez, complétez-moi. Vous aiderez les citoyens à connaître la vérité".
"Ce qui se passe aujourd'hui dépasse tout ce qui est imaginable", dit-il encore, en faisant notamment référence à la guerre en Ukraine. "Vous devez cesser de suivre ces ordres criminels. Les officiers du FSO sont en permanence autour du président. Vous n'avez qu'à y aller et lui faire comprendre qu'il s'agit d'un crime. Et c'est à vous de mettre fin à cette folie très rapidement. J'aimerais vraiment que vous fassiez cela, car vous sauveriez beaucoup de vies".
Gleb Karakulov envoie aussi un message au Russes : "Nous sommes tous maintenus dans l'ignorance, on ne nous donne que des informations pratiques, qui conviennent à une seule personne. Pendant des années, nous avons tout simplement été endoctrinés".
L'ancien officier assure ne pas craindre pour sa vie mais il figure aujourd'hui sur la liste des personnes recherchées par les autorités russes, qui le considèrent comme un "criminel".
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