"Toutes les valeurs du foot ont fait de moi la femme que je suis aujourd'hui" : Marinette Pichon remonte le fil de sa vie dans un biopic
Marinette Pichon a été et est encore aujourd'hui, plus de 16 ans après avoir raccroché les crampons et rangé son tee-shirt de numéro 9, l'une des plus grandes et talentueuses footballeuses françaises et internationales. Au cours de sa carrière, elle a marqué 300 buts et a été recordwoman du nombre de buts et de sélections en équipe de France, hommes et femmes confondus. C'est au Club Saint-Memmie Olympique, dans la Marne, qu'elle a fait ses débuts, avant de devenir la première joueuse française professionnelle.
Elle a évolué aux États-Unis jusqu'à la faillite de la Ligue de football américain, récoltant le titre de meilleure joueuse du championnat le plus relevé du monde et meilleure attaquante et buteuse à deux reprises. À son retour, elle est devenue championne de France avec le club de Juvisy avant de se retirer et d'exprimer sa colère quant au manque de considération et de moyens pour le football féminin. En effet, leur statut oblige les femmes à travailler en parallèle de leurs entraînements et donc de leurs compétitions. Depuis, elle est devenue consultante, s'est mariée à une championne de basket handisport, a accueilli un petit garçon et est devenue la deuxième femme en France à obtenir un congé paternité. En mai 2018, elle publiait une autobiographie : Ne jamais rien lâcher aux éditons First et ce mercredi 7 juin 2023 sort le biopic inspiré de sa vie et réalisé par Virginie Verrier : Marinette. Entretien.
franceinfo : Quel effet ça vous fait qu'on raconte votre histoire sur grand écran ?
Marinette Pichon : La première fois, c'est assez compliqué parce qu'on reprend toutes ses émotions et c'est vraiment un ascenseur émotionnel. Quand on voit toutes les difficultés auxquelles on a dû être confrontée, je dis "on" parce que ma mère et ma sœur sont associées à cela, je me dis : j'espère que ça va pouvoir aider. Et quand j'ai la chance d'échanger avec les personnes dans la salle, il y en a beaucoup qui s'identifient à ce parcours sur un point ou sur une thématique particulière. Donc je suis heureuse parce que c'était l'objectif.
Ce biopic est la projection de votre autobiographie, Ne jamais rien lâcher. Quand on regarde bien, le foot vous a permis de consolider votre famille, c'est-à-dire de garder les éléments les plus forts qui vous tenaient à cœur. Vous avez éjecté votre père violent qui frappait votre mère, et violait votre grand-mère. On comprend à quel point vous avez un mental d'acier...
C'est l'histoire de sa vie. Il n'a jamais regretté quoi que ce soit malgré l'enfer qu'il nous faisait vivre. Et il n'a jamais regretté de ne pas nous avoir dit qu'il nous aimait. Et quand on recherche ça... Eh bien, ça a été vraiment difficile.
Mon père a mérité ses dix ans de prison, la justice a tranché et c'était important, pour ma mère, ma grand-mère, ma sœur et moi, qu’on soit reconnues comme victimes.
Marinette Pichonà franceinfo
Vous commencez le foot à cinq ans. D'où vient ce déclic, ce coup de foudre ?
Je pense qu'il vient parce que j'entends, à ce moment-là, tellement d'enfants joyeux, heureux, ça échangeait, ça criait dans tous les sens. Et moi, au final, à la maison, je n'avais pas la chance de vivre une telle ambiance. Donc j'ai été attirée par ça. J'ai pris la main de ma mère. Et puis, au premier contact avec le ballon, tout se fait naturellement. Ça n'a pas plu à tout le monde, mais voilà, je me suis dit : oh, je suis sur un terrain et là, je peux m'exprimer sans être réprimée et je trouve que c'est vraiment top.
Il y a un club qui va du coup vous proposer de passer un test, c'est Saint-Memmie Olympique. Ça va être un énorme coup de foudre aussi avec la sélectionneuse. Elle comprend très vite que vous êtes faite pour ça.
Oui. Et son approche, la première fois, c'était mais elle vient d'où ? Elle est toute petite, elle réussit à courir plus vite que les filles, elle frappe plus fort et Régine me regardait et disait : "Mais c'est une extra-terrestre". Je pense qu'elle décèle le potentiel dont je dispose. Mais moi, je suis loin de tout ça. Moi, je suis sur le terrain, je m'amuse et c'est tout ce qui compte à l'époque.
Il se passe quoi dans votre tête ? Parce que déjà enfant sur les bancs de l'école, vous disiez à vos profs : "De toute façon, je m'en fous de l'école, je veux être footballeuse professionnelle" et à chaque fois, on vous répondait : "Ce n'est pas un métier".
C'était dans ma tête. C'était un objectif, mais ce n'était pas quelque chose qui était confirmé, ça allait dépendre de plein de choses. Mais j'avais toujours dans un coin de ma tête cette possibilité d'aller jouer au plus haut niveau. Et quand ça se produit, je me dis : mais ça y est, c'est fait. Je me rappelle même avoir envoyé une carte à mon professeur : "Bon, bah vous voyez, je suis aux États-Unis et puis je gagne un peu ma vie grâce au foot !"
Le départ aux États-Unis est un moment difficile pour vous...
Ce qui est compliqué à ce moment-là, c'est que je suis dans une situation extrêmement confortable. Je suis la chouchoute, je marque des buts, je suis bien, j'ai mon emploi, j'ai mon sport. Et en fait, franchir le cap là-bas, même si c'est fabuleux, reste compliqué. J'ai pleuré pendant un mois et demi tous les soirs au téléphone avec ma mère. J'avais l'impression que je ne serais pas à la hauteur. Une fois encore, c'est ma mère qui revient et qui me met un petit coup de pression en me disant : "Non, mais de toute façon, tu vas rester un an quoi qu'il arrive, donc autant que tu t’intègres correctement et que tu prennes du plaisir". Je vais raccrocher et le lendemain je vais me réveiller en mode "l'Amérique m'appartient" !
Que représente le foot pour vous ?
Le foot représente clairement ma sortie de cet enfer familial dont je ne parlais pas, parce que j'avais honte.
Marinette Pichonà franceinfo
Ça représente tout. Les bons moments, les moments de galère. Le foot m'a permis, à la fois de devenir une femme, une meilleure fille pour ma mère, une meilleure amie, une bonne épouse et une bonne maman. Toutes les valeurs du foot ont fait la femme que je suis aujourd'hui.
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