"Tout notre système économique repose sur la cupidité" : Marc Dugain décortique les affres du pouvoir dans son nouveau livre "Tsunami"
Marc Dugain est réalisateur et écrivain. Il croit au pouvoir de la littérature et à l'importance d'écrire pour raconter une vérité, parfois même sa vérité. Depuis 1999, donc presque 25 ans, il construit son œuvre sans concession. C'est en racontant le destin de son grand-père maternel, Gueule cassée de la guerre 14-18, qu'il s'est fait connaître avec son livre La Chambre des officiers. Au total, plus de 20 prix, récompenses reçus pour ce premier roman poignant. S'en suivront La Malédiction d'Edgar (2005), L'insomnie des étoiles (2010), L'homme nu - La dictature invisible du numérique avec Christophe Labbé (2017). Il vient de publier Tsunami aux éditions Albin Michel.
franceinfo : Fred Vargas dit de vous que vous êtes un "fouilleur de catacombes", Renaud Van Ruymbeke, que vous êtes un 'débroussailleur'. Qui est Marc Dugain alors ?
Marc Dugain : Ce qui me définit, c'est quand même une capacité à m'extraire du réel, qui est un peu particulière et qui est à la fois constructive et à la fois personnellement, peut-être une fuite par rapport à la réalité. Finalement, je passe ma vie dans la fiction. Avant d'écrire, je n'étais pas du tout dans cette vie-là, j'ai été dans la finance, puis dans l'aviation. Et puis il y a eu cette chose extraordinaire qui a été qu’un jour, j'étais en vacances dans une maison familiale en Dordogne et je trouve une photo en fouillant un coffre : la photo de mon grand-père, avant d'avoir été défiguré. Je l'ai très bien connu, j'ai vécu avec lui.
J'ai vécu parmi les Gueules Cassées pendant une grande partie de mon enfance, ce qui m'a beaucoup structuré dans mon rapport au pouvoir et aux conséquences du pouvoir.
Marc Dugainà franceinfo
Et puis, d'un seul coup, je vois cet homme qui a un peu un visage à la Paul Newman et je me dis : mais comment il a fait pour survivre à ça. Et à partir de ce moment-là, j'ai eu cette idée d'écrire ce livre, La chambre des officiers, et je pense que le succès de ce livre a fait que j'ai changé complètement de vie, que tout ce que j'avais fait avant n'avait plus d'importance.
Vous continuez ce travail d'écriture, votre travail autour de la mémoire et de cette notion de pouvoir, d'enquête, de conviction. Avec Tsunami, vous vous attaquez à la politique française. Vous nous plongez dans la tête d'un président fraîchement élu sans que personne ne s'y attende, qui tente de gouverner. C'était une façon de désacraliser un certain nombre de choses autour du pouvoir ?
Ce rapport que j'ai au pouvoir est très ancien. Il plonge dans mon enfance quand je vois tous ces gens défigurés. Après, il y a aussi toute l'histoire de ma famille dans la Résistance. La Seconde Guerre mondiale est très importante, d'autant que j'ai une grand-mère juive qui s'est cachée toute la guerre et ça a forgé chez moi une immense méfiance pour le pouvoir en fait, et un attrait en même temps. C'est-à-dire comprendre comment le pouvoir, par sa façon de se mouvoir, peut nous entraîner dans des choses absolument catastrophiques dont nous sommes nous-mêmes aussi responsables. Comment on en arrive à la guerre de 14-18 ? Comment on en arrive à 39-45 ? Comment on en arrive aujourd'hui à avoir des événements violents dans une démocratie prétendument apaisée ? Et je me suis très vite rendu compte que c'était vraiment l'ambition personnelle qui guide la plupart des gens qui nous dirigent plus que les convictions.
On est en plein cœur du sujet actuellement, avec une actualité très chaude. Des Français qui descendent dans la rue en nombre, qui manifestent leur mécontentement à travers effectivement une décision qui est prise. On a l'impression que ce livre était prémonitoire...
J'aime bien écrire à la première personne. Et quand on écrit à la première personne, il y a quelque chose d'empathique au sens étymologique du terme, c'est-à-dire se "mettre à la place de", c'est ça l'empathie. Quand on n'a pas d'empathie, c'est qu'on est incapable de comprendre la souffrance des autres et qu'on est incapable de se mettre à leur place. Le livre pose la question de comment on va s'en sortir face à des problématiques énormes qui sont en particulier la transition climatique, le fait que le numérique est en train de changer complètement nos vies. Et ça pose la question aussi est-ce qu'aujourd'hui, c'est vraiment approprié pour un pays comme le nôtre, avec 70 millions d'habitants, de tout focaliser, de tout concentrer sur un homme ? Finalement, est-ce que ça a du sens ?
Vous avez fait des études et enseigné la finance. Ensuite, vous avez été entrepreneur dans l'aéronautique, avant de diriger des compagnies aériennes. On a le sentiment que ce que vous nous décrivez en coulisses, vous l'avez de plus ou moins vécu...
Tout notre système économique repose sur la cupidité. On est réduit aujourd'hui à être des producteurs, consommateurs. On est quasiment des automobilistes avant d'être des citoyens et il faut que ça change. Si on ne change pas notre façon d'exister, je pense que les années qui viennent vont être extrêmement douloureuses pour les générations plus jeunes que la mienne, évidemment.
Un tsunami, c'est un danger qui semble invisible, même si très présent. C'est ça que vous vouliez dire à travers ce titre et à travers ce livre ?
Oui, parce que les réactions de masse peuvent être imprévisibles. J'ai hésité sur ce titre parce que c'est un peu racoleur, mais en fait, je trouve que c'est bien l'esprit du livre. Il arrive un moment où cette décomposition française dans laquelle on est, peu amenée à des choses beaucoup plus graves, comme un pouvoir autoritaire. On voit l'attrait de certains pour le régime russe, qui est un régime purement mafieux, mais certains y voient une certaine grandeur, moi, je ne sais pas où elle est, mais bon. Et ce risque, il est là. Comme il était là dans les années 30. Alors ce n'est pas la même chose. Je ne crois pas la répétition exacte de l'Histoire, mais je pense que d'un seul coup, tout peut déraper.
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