"Soyons uniques et revendiquons-le" : Abd al Malik rend hommage à son amie Gréco dans son livre "Juliette"
Abd al Malik est rappeur, écrivain, metteur en scène et réalisateur. Au départ, il y a eu la musique avec son groupe de rap, les New African Poets (N.A.P.), puis une carrière solo remarquée. Il a d'ores et déjà été couronné par quatre Victoires de la musique. Puis, à suivi une envie d'écrire en longueur avec des ouvrages qui ont marqué les esprits comme son autobiographie Qu'Allah bénisse la France adaptée au cinéma en 2014. Et en 2017, le jeune homme a été encore honoré en se retrouvant promu officier de l'Ordre des Arts et des Lettres.
Il publie, jeudi 31 août, Juliette aux éditions Robert Laffont. C'est un texte poétique et littéraire, un hommage subtil, fin et tout en sensibilité, rendu à la muse de Saint-Germain-des-Prés, la seule, unique et atypique Juliette Gréco.
franceinfo : Ce livre Juliette n'est-il pas avant tout, au travers de cette artiste avec qui vous avez partagé 15 ans d'amitié, une déclaration d'amour à toutes les femmes ?
Abd Al Malik : Complètement. Moi, j'ai été élevé entièrement par des femmes. J'ai autour de moi des femmes fortes, des femmes puissantes, mon épouse Wallen... Juliette, qui a été et qui est ma marraine d'une certaine manière, quelqu'un qui m'a apporté, qui a été un référent, un modèle. Ces figures-là, de mon point de vue, véritablement, représentent toutes les femmes, parce qu'il y a quelque chose de l'ordre d'une force que ne connaîtra jamais l'homme. J'ai vu des femmes faire des choses totalement impossibles pour des hommes, à supporter, et agir également, parce que ce n'est pas juste une force de passivité, c'est une force d'action.
Ce que vous mettez en avant à travers ça, c'est l'importance de la liberté. Et c'est vrai que Juliette Gréco, vous dites "elle était deux choses, elle était : amour et liberté". Est-ce qu'Abd al Malik est libre ?
Je me suis reconnu en Juliette. Je me suis vu en elle et je me sens profondément libre. Et des personnes comme Juliette ont participé au fait d'accepter cette liberté et de l'assumer pleinement, de la vivre pleinement parce que finalement, ce n'est pas simple d'être libre.
"Être libre, ça signifie aussi se mettre des gens à dos et en ce sens-là, Juliette Gréco est fondamentale dans mon cheminement en tant qu'être."
Abd al Malikà franceinfo
Vous racontez son histoire. Elle était très dure. Elle a vécu des moments extrêmement difficiles. Elle a été montrée du doigt, elle a été rejetée et pour autant, elle a toujours conservé ce sourire et cette envie d'en découdre.
Le sentiment que j'ai, et j'ai l'impression que c'est l'une des leçons fondamentales qu'elle m'a donnée, c'est qu'elle a toujours pris soin de la petite Juliette, c'est-à-dire de l'enfant qu'elle a été. Donc, le rapport à l'innocence, le rapport à l'étonnement, au sens presque philosophique du terme, d'être toujours vraie, sincère, etc. Et en préservant ça, comme on préserve un feu pour qu'il ne s'éteigne pas... eh bien d'une certaine manière, elle a préservé une pureté, quelque chose de l'ordre de "l'esprit de vie".
Est-ce que vous-même vous avez réussi à conserver cet enfant ?
En tout cas, je me bats pour.
Et cet enfant, à quoi pense-t-il ? De quoi a-t-il envie ?
Il a envie de dire "je t'aime" en fait. Et surtout d'avoir un regard neuf sur les choses, ne pas rentrer dans quelque chose qui pourrait se terminer par une forme d'aigreur. Je prends donc soin de ce petit garçon.
Ceux qui ne connaissent pas vos débuts pensent que vous êtes né poète et en même temps, vous auriez pu mal tourner. Finalement, vous avez décidé d'emprunter un autre chemin, en tout cas celui de la littérature, des mots et de l'esprit aussi. Cela veut dire que la vie, c'est aussi une question de choix ?
C'est une question de choix et de rencontres. En réalité, je suis la somme de plein de rencontres. J'aime bien raconter cette anecdote. J'ai une institutrice et elle me dit que je suis beau. Et moi, je finis par croire que je suis beau et j'agis en conséquence. Mais j'ai envie de dire, quand on dit à quelqu'un "toi, tu n'es pas beau, tu es laid" et qu'on ne lui pointe que des choses négatives, eh bien il finit par le devenir. C'est-à-dire qu'à un moment donné, le regard qu'on porte sur nous, c'est aussi ce qui nous construit. On est construit par le regard qu'on porte sur nous. Et moi, j'ai eu la chance d'avoir des regards bienveillants à chaque coin. Il y avait un drame là et puis de l'autre côté, il y avait un regard bienveillant. Il y a l'obscurité là et puis il y a la lumière et puis finalement, l'obscurité diminue de plus en plus et il ne reste que la lumière. Il ne reste que le regard bienveillant.
"Juliette, c'est un regard bienveillant qui est porté sur moi, c'est ce que j'ai eu envie de dire et de transmettre."
Abd al Malikà franceinfo
Ce que met en exergue cet ouvrage, c'est qu'il ne faut pas se fier aux apparences, Juliette avait cette posture, mais elle avait surtout une tenue intellectuelle.
Juliette, par exemple, c'est une femme du peuple et en même temps une élégance et un raffinement. Et elle est en train de dire précisément que oui, ce raffinement et cette élégance sont dans le peuple. Et il ne faut pas se baser sur des vêtements, ou une manière de parler qui ne serait peut-être pas en phase avec la meilleure des manières pour communiquer avec l'autre, etc. Mais parce que précisément, ça va plus loin. On est plus qu'un vêtement, on est plus que ce qui nous apparaît. Et ça, c'est Juliette. S'il y a une leçon qu'elle donne, c'est celle-là.
L'autre leçon, c'est qu'il faut lutter contre toute forme d'injustice. Quelque part, vous en rétablissez une parce que vous lui rendez hommage.
Je ne pouvais pas faire autrement. L'année dernière, je suis allée à Ramatuelle. C'est la première fois que j'e suis allé à Ramatuelle et que Juliette n'était pas là. J'ai été habité par quelque chose. Et en rentrant, eh bien, j'ai écrit ce texte. Il y a eu quelque chose... comme si c'était Juliette qui me disait : "Mais il faut que tu parles de ça". C'est un hommage, mais j'ai l'impression de l'avoir écrit directement avec elle, en fait. J'ai été habité par quelque chose et je pense que c'est important. On doit se référer à nos vivants, mais on doit convoquer nos morts.
Vous dites, pour terminer, qu'elle est "la première et la dernière égérie d'une philosophie, la muse de Saint-Germain-des-Prés". C'est ça qu'il faut retenir de Juliette ?
D'habitude, il y a les égéries des marques de luxe, de parfums, de tout ce qu'on veut, mais elle a été l'égérie de l'existentialisme. C'est quelque chose quand même. Et si ça veut dire quelque chose, c'est qu'elle célèbre la singularité. Soyons uniques et revendiquons-le. Et c'est ce que Juliette a toujours revendiqué.
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