"On ne comprend pas pourquoi on y retourne, mais on en a besoin" : Luc Jacquet nous emmène dans son havre de paix avec "Voyage au pôle Sud"
Réalisateur à la détermination vissée au corps et à l'âme, Luc Jacquet, depuis La Marche de l'Empereur et son succès mondial qui lui a valu l'Oscar du meilleur film documentaire en 2006, nous a mis au pas, nous, le commun des mortels et des scientifiques, donnant naissance à pas mal de projets, comme le film Il était une forêt (2012). Il est documentariste et passionné par l'Antarctique, un continent qu'il a toujours traité avec délicatesse et surtout avec beaucoup de respect. 31 ans après sa première mission là-bas, il a décidé de revenir là où tout a commencé pour lui et ça donne Voyage au pôle Sud qui sort mercredi 20 décembre sur les écrans. Encore une invitation dans le "Royaume des glaces" pour un voyage qui ne peut pas laisser indifférent.
franceinfo : Votre film est encore une invitation au voyage, évidemment, au cœur d'une nature sauvage, sublime, préservée finalement des dégâts et de la sauvagerie humaine. Comment expliquez-vous cette attirance, ce magnétisme pour l'Antarctique ?
Luc Jacquet : Je crois que c'est un territoire de fantasmes, d'explorations. C'est assez amusant d'ailleurs de penser que ce qu'on a appelé très longtemps la terra incognita a été dessinée avant d'être découverte. J'ai l'impression que, dans l'esprit de l'humanité, il fallait cette terre un peu éloignée, un peu inconnue. Et c'est vrai qu'on ne connaît l'Antarctique que depuis 1820. Donc c'est très récent dans l'histoire de la géographie humaine.
"L'Antarctique fait partie de ces territoires du lointain où les gens comme moi, comme les explorateurs, comme les scientifiques ont envie d'aller voir. Finalement, c'est peut-être parce que c'est inaccessible que ça fait envie."
Luc Jacquetà franceinfo
Pourquoi ce retour là où tout a commencé ? Qu'est-ce qui vous a donné envie d'y retourner ?
C'est ce que je raconte dans ce film. L'Antarctique et les régions polaires en général sont des terres addictives. Si vous prenez tous les auteurs, tous les explorateurs qui ont écrit sur ces lieux-là, tous ont les mêmes mots : "On ne comprend pas pourquoi on y retourne, mais on a besoin d'y retourner". Et je crois que, finalement, dans ce lieu, on se sent bien parce qu'on est dans une nature qui nous dépasse complètement, parce qu'on est dans une esthétique d'une beauté incroyable. Je crois qu'il y a peu de moments où on arrive à se sentir à ce point submergé par la beauté des choses, par la beauté du monde. Et c'est ce que j'ai voulu transmettre dans ce film et c'est ce qui est le plus difficile à raconter finalement.
Vous êtes un amoureux de la nature. Dans ce documentaire, vous vous livrez comme jamais. Vous nous parlez de quand vous étiez enfant sur les genoux de votre grand-père. Vous avez toujours été fasciné, attiré par ça ?
J'ai toujours été attiré par la nature. J'ai eu la chance de vivre à la campagne, dans les montagnes du Jura. J'ai toujours eu la chance d'avoir cet accès à la grande nature et aussi à cet usage vernaculaire, cet usage paysan qu'on a de la nature. Je suis issu de générations et de générations de gens qui m'ont précédé et qui m'ont appris à composer avec les saisons, avec les récoltes, avec les choses comme ça. Et j’éprouve beaucoup de gratitude pour ça, parce que ça m'a donné un rapport à la nature assez apaisé au fond. Et j'ai le sentiment aujourd'hui que notre société a un peu du mal. On est tellement en train de s'urbaniser, de se couper de ce monde naturel qu'on perd un peu les pédales d'une certaine manière.
"La nature, pour moi, est à la fois une source d'inspiration et une préoccupation majeure, parce que je vois effectivement les choses qui sont en train de se dégrader."
Luc Jacquetà franceinfo
Même chez nous, on parle des montagnes du Jura. Aujourd'hui, le bouleversement climatique, ce sont les épicéas qui sont en train de disparaître. Ce sont des paysages fondateurs qui sont en train de disparaître et c'est effectivement bizarre. L'idée est de se dire : "Mais qu'est-ce que je peux faire, encore une fois, pour attirer l'attention, essayer d'inverser la tendance ? "
L'Antarctique, c'est vraiment un lieu de paix, vous le dites, "C'est une terre de paix, Il faut en protéger la biodiversité". C'est notre avenir qui se joue là ?
C'est assez symbolique dans le sens où, jusqu'à présent, l'Antarctique a un statut très particulier. Son statut est régi par un traité qui s'appelle le Traité de Madrid, avec lequel on a gelé les revendications territoriales. Il y a eu les nations qui ont découvert l'Antarctique et qui se sont attribué des territoires. Et plutôt que d'en faire une nouvelle guerre, on s'est dit : "On gèle les revendications territoriales et on en fait une terre de paix et de science". Je trouve que cet élément est extrêmement important puisque, en dépit de tout ce qui nous sépare même aujourd'hui, il y a quand même un moment où il va falloir qu'on trouve des universaux parce qu'on a tous besoin de fondamentaux : l'air pur, l'eau pure, de l'espace, de quoi se nourrir, etc. Et je pense que cette initiative diplomatique qui avait été prise autour du Traité de l'Antarctique pour moi est un bon exemple. Il ne faut pas se leurrer, aujourd'hui, il y a des enjeux absolument fondamentaux. Il y a de la compétition sur l'Antarctique puisqu'il y a des ressources minières, des ressources de pêche.
"On n’arrive pas à défendre des aires marines protégées autour de l'Antarctique parce qu'il y a aujourd'hui beaucoup trop d'enjeux, en particulier sur les pêches. Alors, comment va-t-on faire ?"
Luc Jacquetà franceinfo
Vous dites : "À mon âge, on se demande combien de voyages il nous reste à vivre". Quelle est votre relation avec le temps qui passe puisque ce temps revient régulièrement dans ce film ? Vous le dite : "Là-bas, le temps a une bien étrange profondeur".
Quand vous vous confrontez à des icebergs qui ont plusieurs dizaines de milliers d'années, quand vous êtes face à des éléments qui vous ramènent à une temporalité qui n'est plus la temporalité de votre vie, ni même celle de l'humanité, mais des choses beaucoup plus vastes, ça vous réduit de fait. Et ce rapport au temps est le temps d'une vie et le fait d'avoir eu des rendez-vous réguliers comme ça avec l'Antarctique, eh bien évidemment, me fait poser la question de ma propre existence, de ma propre longévité, de ce que je peux donner, ce que je peux transmettre. C'est un peu dans cette dynamique-là que je me place aujourd'hui.
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