Nicolas Pagnol et Vincent Fernandel évoquent leurs grands-pères respectifs, "deux monstres sacrés avec deux caractères impossibles"
Nicolas Pagnol et Vincent Fernandel ont des noms qui résonnent fort dans notre mémoire collective. Pagnol étant l'un des écrivains les plus marquants de l'histoire de la littérature française avec La gloire de mon père, Manon des Sources ou encore Jean de Florette, le sociétaire de la Comédie-Française qu'il était a aussi marqué l'histoire du cinéma en tant que réalisateur avec des films comme Angèle (1934), Naïs (1945), Regain (1937).
Fernandel, quant à lui, a attiré plus de 200 millions de spectateurs dans les salles à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas, avec des classiques comme Ali Baba et les quarante voleurs (1954) ou encore La Vache et le prisonnier (1959). Notre Don Camillo est toujours là, quelque part, avec cette voix si emblématique que possède en héritage Vincent, car il est le petit-fils de Fernandel et Nicolas, celui de Marcel Pagnol.
Tous deux publient, aujourd'hui, un livre CD : Marcel Pagnol, lu par Vincent Fernandel chez Fleurus.
franceinfo : Marcel Pagnol, lu par Vincent Fernandel est une belle idée. Comment est-elle née ?
Vincent Fernandel : C'est une idée qui est née dans la tête de ma productrice Fanny Tempesti qui m'a dit : "En tant que Marseillais, il faudrait qu'un jour tu interprètes Marcel Pagnol". Je lui ai répondu : rien de plus simple. J'ai appelé Nicolas en lui disant que j'avais quelque chose à lui proposer. Je suis allé chez lui et puis finalement, nous n'avons pas du tout parlé travail. Nous avons parlé de plein d'autres choses. Nous nous sommes retrouvés sur plein de sujets et à la fin de ce long après-midi, Nicolas m'a dit en dix secondes : "Écoute, pour ton projet de livre disque, très bien, je valide". Donc ça s'est fait avec une facilité déconcertante parce que nous avons eu la chance d'avoir une vraie rencontre, tout simplement.
Ils ont toujours été très proches et en même temps, ils sont restés fâchés très longtemps, une dizaine d'années à cause du film Topaze (1951). Racontez-nous cette histoire qui est assez incroyable !
Nicolas Pagnol : Effectivement, Fernandel voulait que le film Topaze se termine sur un gros plan de lui. Marcel a dit : "Oui oui oui, bien sûr, ne t'en fais pas". Et il a fait un gros plan de Pierre Larquey. Fernandel l'a très mal pris. Lorsque Marcel écrit un film pour Gaumont qui s'appelle Carnaval, Fernandel dit : "Moi, je ne jouerai pas dedans si c'est Pagnol qui réalise", ça se passe assez mal et ma grand-mère me raconte un jour que Fernandel vient déjeuner chez eux. Marcel avait pris un apéro un peu appuyé et lui dit qu'il n'est qu'un clown puis il va faire sa sieste. Fernandel rentre chez lui et reçoit une lettre. Il se dit : "Ah, mon Marcel s'excuse, c'est formidable". Il ouvre la lettre et là c'est la douche froide. Marcel lui écrit : "Je suis passé sur le tournage, je te l'ai dit, tu es une grande vedette, même si tu es devenu un mauvais acteur. Et je souhaite à ce film beaucoup de succès, même en l'absence de talent". Les deux hommes vont rester fâchés dix ans.
Comment est-ce que vous décrierez Marcel Pagnol, Vincent Fernandel ?
Vincent Fernandel : Pagnol, lorsqu'on est du Midi, c'est quelque chose qui est intégré dès l'enfance, un petit peu comme le rugby en Nouvelle-Zélande par exemple.
"Marcel Pagnol, c'est quand même le premier dans des années où il n'y a pas les réseaux sociaux qui, grâce au cinéma et à la littérature, a fait connaître la Provence à l'Europe et au monde entier. C'est quand même extraordinaire."
Vincent Fernandelà franceinfo
Nicolas, j'aimerais qu'on aborde une personne, votre grand-mère Jacqueline, dont on parle très peu finalement. Et pourtant, elle était la Manon des sources originelle. Est-ce qu'elle vous a transmis, justement, l'essentiel ?
Nicolas Pagnol : Ah oui ! Je voue un amour immense à ma grand-mère. Elle m'a bien sûr beaucoup parlé de mon grand-père, mais au-delà de ça, elle m'a appris à l'aimer alors que je ne le connaissais pas. Je l'ai rencontrée au travers de ses deux grands yeux bleus pleins d'amour pour lui et elle m'a donné la flamme. Et alors que j'étais assistant réalisateur, elle m'a dit : "Bon, soit tu reprends les sociétés familiales, soit nous vendons". Il m'a fallu un petit peu de temps pour réfléchir, mais j'ai dit oui très rapidement car elle m'avait passé le virus. Tous les dimanches, j'allais la chercher dans son bel hôtel particulier de l'avenue Foch où elle habitait avec Marcel, rien n'avait bougé, et comme tous les gosses, alors que j'avais 25, 30 ans, j'allais ouvrir les tiroirs des bureaux pour voir ce qu'il y avait dedans. Et dès que j'ouvrais un carton, un classeur, je tombais sur des lettres de Guitry, de René Clair, de Zanuck, de Korda. Ce n'étaient pas des vieux papiers, c'était l'histoire de la vie culturelle française, voire mondiale. Une partie de cette histoire, en tout cas, qui était entreposée au grenier.
Juste après la mort de Fernandel, survenue il y a 50 ans, Marcel Pagnol déclarait : "Il a été l'un des plus grands et des plus célèbres acteurs de notre temps, et l'on ne peut le comparer qu'à Charlie Chaplin". Pagnol le suivra malheureusement trois ans plus tard. C'est ce qu'il faut retenir de leurs liens, de leur amitié ?
"Marcel va tout de suite percevoir chez Fernandel cette façon qu'il avait dans ses rôles dramatiques de toucher le public. Et Fernandel lui en sera éternellement reconnaissant... jusqu'à la fâcherie !"
Nicolas Pagnolà franceinfo
Nicolas Pagnol : C'étaient deux monstres sacrés avec deux caractères impossibles, très différents, mais qui se sont retrouvés professionnellement. Et ça a débouché sur une amitié incroyable car il ne faut pas oublier non plus que lorsque Pagnol confie le rôle de Saturnin dans Angèle à Fernandel, il est un comique troupier, un chansonnier.
Vincent Fernandel : Oui, avant sa rencontre avec Pagnol, c’était un homme du music-hall qui a fait quelques films, mais rien de remarquable.
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