Nathalie Saint-Cricq : "Certains historiens ont voulu arranger l'Histoire, faire croire aux Français qu'ils avaient tous été résistants"
Nathalie Saint-Cricq est journaliste politique, éditorialiste et écrivaine. Elle a débuté dans le privé avant de bifurquer dans le service public au sein de France Télévisions. Elle a été rédactrice en chef des émissions Des paroles et des actes et À vous de juger avant de diriger le service politique de France 2. Son expertise et sa connaissance du monde politique lui valent d'être systématiquement sollicitée pour réaliser des focus, des analyses et des interviews.
Elle vient de publier son deuxième roman L'ombre d'un traître aux éditions de l'Observatoire. Après Je vous aiderai à vivre, vous m'aiderez à mourir, consacré à Georges Clemenceau, elle nous plonge dans les années 1960, le 18 juin très exactement. 15 héros de la France combattante choisis à la Libération, adoubés par le général de Gaulle, font leur entrée dans la crypte du Mont-Valérien. C'est un grand moment historique sauf que parmi tous ces cercueils se cache un traître. Désiré, jeune journaliste orphelin et débutant, va se retrouver au centre d'une affaire qui va changer sa vie.
franceinfo : Ce roman est plus vrai que nature parce que vous vous êtes vraiment basée sur des faits historiques réels et cette histoire, personne ne la connaît. Comment est-ce possible ?
Nathalie Saint-Cricq : Je ne comprends pas. J'ai appris que cette histoire existait, entre deux couloirs au moment de préparer une émission sur le 11 novembre avec une historienne, Frédérique Dufour, alors que je lui demandais comment était faite la sélection pour entrer au Mont-Valérien. Elle m'a répondu : "On y entre, mais on en sort". Je me suis dit : si on en sort, ça veut dire qu'un jour il y a une mère, un père, une sœur, un frère, un homme, quelqu'un qui reçoit un courrier et on vous dit : "Vous allez rire. On s'est trompés de casting, monsieur Untel, votre mari, maman, frère, sœur, père doit sortir du Mont-Valérien parce qu'il ne le mérite pas". Au bout d'un moment, je me dis que cette histoire est tellement énorme qu'il y a forcément quelqu'un qui s'est penché dessus. Je commence à gratter, à appeler des historiens et puis je vais aux archives, j'empoisonne la terre entière, y compris la DGSE, pour savoir s'il n'y aurait pas un dossier qui, sous le général de Gaulle au moment du BCRA qui était son équivalent à l'époque, existe.
Et puis je me rends compte que les archives françaises sont super bien fichues et qu'en gros lorsque je tape le nom de Monsieur - dont je n'ai pas voulu donner le nom dans le livre - je retrouve des lettres de sa main, des lettres de la main de sa femme. Je retrouve tous les PV d'audition. Bref, je retrouve tout, même une photo ! J'ai eu les choses presque sur un plateau et c’est juste que personne ne s'y était intéressé avant ou plus exactement, l'histoire a été mise sous le boisseau.
"L’histoire commence en 1945, se finit en 1960 et aucune publicité n'a été faite autour de cette bavure, bévue, je ne sais pas comment on peut l'appeler. Je trouvais cela intéressant parce que ça en dit beaucoup sur l'époque et sur le roman national."
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
C'était raconter comment de Gaulle et certains historiens, au début, ont voulu arranger l'Histoire, faire croire un peu aux Français qu'ils avaient tous été résistants, même s'ils ne l'avaient pas été, ou surtout s'ils ne l'avaient pas été. C'est une vision de l'histoire étrange.
J'ai l'impression que cela vous rattache aussi à votre grand-père ?
Je suis dans une famille où on parlait beaucoup de ça. Mon frère était toujours aussi passionné par ça, mes grands-parents des deux côtés ainsi que mon père et ma mère. J'ai été nourri de ça. Mon grand-père a été dénoncé pendant la guerre. Il a réussi à s'en sortir. Je n'ai pas une vision édulcorée. Mais c'est vrai que l'ambiance, notamment ce qu'il y a au début du livre, c'est la rivalité entre le général de Gaulle et les communistes, puisque les communistes veulent apparaître comme des gens qui ont gagné la guerre, eux, de Gaulle ne veut pas leur laisser le monopole de la mémoire et du combat. C'est vrai que j'ai entendu ça chez moi et ma seule angoisse, c'était de faire un bouquin bouillie mémorielle, c'est-à-dire qu'on dise que les gens qui sont partis au STO, (Service du travail obligatoire), c'est la même chose que les gens qui ont pris le maquis. Non, ce n'est pas la même chose.
"Je ne juge pas la France, je ne juge pas les Français, mais les choses doivent être quand même dans leurs cases et on ne peut pas se permettre de tout relativiser."
Nathalie Saint-Cricqà franceinfo
Il y a eu des gens qui ont choisi. Il y a eu des gens qui n'ont pas vu qu'il y avait des juifs qui se faisaient rafler à côté de chez eux. Il y en a d'autres qui les ont cachés.
C'est ce que met en avant cet ouvrage ? Quand on utilise un mot aussi fort que "résistant", "combattant" ou même "mort pour la France", ça se mérite ?
Il y a eu des critères parce que, quand vous donnez une carte de résistant ou quand vous donnez une médaille à quelqu'un, tout le problème s'est posé notamment à la Libération, de savoir qu'est-ce qu'un résistant ? Est-ce qu'il faut l'avoir été tôt ? Est-ce qu'on a été résistant au moment où tout le monde savait que les Alliés allaient gagner ? Est-ce que ça a la même valeur ? Donc il y a eu beaucoup de travail aussi pour savoir à qui on attribuait cela. Et mon malheureux héros, lui, manifestement, est passé au travers de ce tri. Mais ça a été rectifié assez vite. Qu'on ne le bannisse pas parce qu'il avait fait des choses avant, oui, mais qu'on l'honore, c'est quand même paradoxal.
Que vous apporte l'écriture ? On sent que c'est un exercice un peu complémentaire.
Je me demande même si l’écriture ne va pas devenir essentielle et que c'est le reste qui va être complémentaire. C'est normal pour les gens qui ont fait une chose toute leur vie comme moi, même si le personnel politique change, j'en ai un peu ras-le-bol. Ça me fascine moins. Écrire m'amuse plus et puis par rapport à ma vie personnelle, le moment où j'écris ou je travaille, je suis dans une bulle absolue. C'est une forme de thérapie ou de thérapeutique.
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