Mathieu Kassovitz revisite "La Haine" en comédie musicale : "Depuis 30 ans le film revient dans l'actualité tous les ans"
En 1993 à 26 ans, Mathieu Kassovitz réalisait son premier long métrage intitulé Métisse dont il a signé le scénario. Un film qui a permis, à beaucoup, de le découvrir. Deux ans plus tard, il a cueilli le métier et le public avec le film La Haine, qui rencontre un succès immédiat en France et plus tard à l'étranger avec à la clé trois César. Il est également comédien, avec ce César du meilleur espoir masculin qui a marqué les esprits en 1994, grâce à son rôle de jeune paumé dans Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard. Aujourd'hui, il adapte son film La Haine sur scène. Une comédie musicale qui démarre jeudi 10 octobre à la Seine Musicale, avant une tournée dans toute la France.
franceinfo : Nous sommes 30 ans après la sortie du film La Haine et le propos sur la cité n'a absolument pas changé. On est toujours au cœur de l'actualité.
Mathieu Kassovitz : Malheureusement, oui. Depuis 30 ans, le film revient dans l'actualité, tous les ans trois ou quatre fois par an, parce qu'il y a une bavure policière. Donc ça ne m'a jamais quitté.
Comment est né ce film ?
Il est né de ce besoin que les gens que je connaissais soient compris d'une manière différente à cette époque-là. Il est né, juste, pour essayer de faire comprendre aux gens que ces jeunes qui étaient mis au rang de sauvageons, avaient une poésie, une âme et un cœur. Ils ne sont pas des statistiques.
Quand le film est sorti et d'ailleurs, on le retrouve sur la comédie musicale, ce qui ressortait, c'était un sentiment de colère. Ce sentiment existe toujours ?
"Je ne vois pas comment on peut ne pas être en colère dans le monde dans lequel on vit."
Mathieu Kassovitzà franceinfo
Chacun gère la colère à sa façon. Moi, ça m'énerve, je suis énervé, j'ai du mal à vivre quand je vois tout ce qui se passe à côté de moi. Maintenant, je ne vois pas vraiment comment on peut vivre d'une manière complètement heureuse sans regarder autour et sans se dire qu'il y a quand même des trucs à régler et qu'on ne peut pas fermer les yeux dessus.
Est-ce que l'histoire de votre père, rescapé de la Shoah, a joué sur l'envie de raconter des histoires et d'aller chercher les gens et de créer des discussions, de communiquer, de dire des choses ?
Vous savez, ce n'est pas que l'histoire de la Shoah. La douleur, c'est la douleur pour tout le monde. Après, on choisit de la traiter ou pas. Moi, j'ai été éduqué par des parents qui étaient des gens pauvres qui sont arrivés en France dans les années 60-70 et il n'y avait pas de meilleur milieu à l'époque pour pouvoir exprimer sa révolte. C'était ça les années 70. Je suis le produit de ça. Le produit de ma mère qui ramenait des clochards à la maison, mon père faisait des films sur le Venezuela. Cela a toujours fait partie de ma vie, ce n'est pas que la Shoah, c'est l'ensemble.
Votre mère était monteuse, votre père réalisateur. Le cinéma, était la bande-son de votre enfance. C'était une évidence que ça allait devenir aussi votre langage ?
Oui, parce que mes parents n'étaient pas des stars dans leur domaine. Je n'ai jamais rencontré le cinéma à travers les festivals ou les avant-premières ou les trucs comme ça. Mes parents travaillaient tous les week-ends, j'allais dans la salle de montage de ma mère, passer le week-end parce qu'elle ne pouvait pas me garder ailleurs et donc je vivais dans les morceaux de pellicule ou j'allais sur les tournages de mon père qui faisait des téléfilms. Le cinéma, pour moi, c'est du travail.
Il y a une intégrité qui a toujours existé chez vous. C'est à croire qu'à aucun moment vous n'êtes allé à l'encontre de ce que vous vouliez faire ou ne pas faire.
Oui. J'ai eu la chance de faire la carrière que je voulais mener, autant en tant qu'acteur qu'en tant que réalisateur. J'ai réalisé des films à chaque fois différents, qui sont des films plus ou moins choquants ou plus ou moins difficiles à vendre. J'ai réussi à les faire, j'en suis très fier. Ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre ça, parce que pour me permettre ça, j'ai dû dire non à beaucoup de choses. Pour rester intègre dans ce milieu-là, dans n'importe quel milieu, il faut accepter de manger un peu de la merde. Moi, je suis passé à travers tout ça, mais je préfère ça, plutôt que de manger du caviar avec des connards.
Est-ce que le cinéma vous a permis de vous protéger un peu ?
"La plus grande richesse du cinéma, c'est ce qu'on y vit en travaillant avec les autres."
Mathieu Kassovitzà franceinfo
Non, je ne me suis pas protégé, au contraire. Par contre, ce que le cinéma m'a appris en tant que réalisateur, plus en tant qu'acteur, ce sont tous les gens magnifiques que j'ai croisés pendant toutes ces années. Que ce soient les machinistes ou les gens chez qui on va tourner, tous les spécialistes à qui on a à faire. J'ai travaillé avec des militaires du GIGN, des astronautes, des docteurs, des scientifiques, des femmes de ménage. J'ai eu l'occasion de les rencontrer, de vivre des vies qui ne sont pas les miennes et de vraiment échanger avec tous ces gens.
Ce qui est étonnant, puisque vous avez quitté l'école à 16 ans, comme la majorité des autodidactes, vous avez dit que la science était comme une boussole pour vous.
Soit tu es guidé par la religion, soit tu te retrouves seul et si tu es seul, il faut que tu aies quelque chose en quoi croire. Pour moi, ma religion, c'est la science, parce que c'est la seule religion qui est prouvée par tous ses pairs. Cela m'a construit et ça me construit encore aujourd'hui.
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