Martin Fourcade: "Il me faudra encore un peu de temps pour définir qui je suis et pourquoi je me lève le matin mais je suis papa à plein temps"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, c’est Martin Fourcade. Fraîchement retraité, il sort un livre qui retrace son parcours. Une occasion de découvrir cet athlète hors-norme.
Quintuple champion olympique, sept fois vainqueur du classement général de la Coupe du monde, un record, treize fois champion du monde avec une carrière internationale qui s'étend de 2007 à 2020, Martin Fourcade détient aussi le record de Globes de Cristal remportés, du nombre de points marqués sur une saison de Coupe du monde et du nombre de podiums consécutifs en Coupe du monde.
Considéré comme le meilleur biathlète de l’histoire, aujourd'hui fraîchement retraité, il publie un livre qui retrace son parcours : Martin Fourcade - Un dernier tour de piste co-écrit avec Jean Issartel aux éditions Marabout. Une occasion de découvrir cet athlète hors-norme.
Elodie Suigo: Vous êtes le sportif français le plus titré des Jeux olympiques, été et hiver confondus. Comment ça résonne en vous tout ça?
Martin Fourcade: C'est à la fois beaucoup de fierté pour avoir pris le temps, du coup, de regarder ce parcours qui s'est terminé, et puis à la fois beaucoup d'humilité parce que ça ne reste que du sport et c'est avant tout le plaisir d'avoir pu vivre toutes ces émotions, tout ce voyage, plus qu'un trophée en particulier.
Vous publiez Martin Fourcade - un dernier tour de piste pour nous raconter votre vie de néo-retraité de 32 ans. Aucun regret. Que du plaisir à passer du temps avec vos filles, avec votre femme. On sent que vous aviez besoin de ça.
Oui, je crois que j'en avais besoin et que ce livre m'a permis de voir aussi que j'avais évolué. Je suis rentré à la maison au moment du confinement, je n'avais jamais passé plus de deux semaines d'affilée à la maison et je me retrouve bloqué dans mon domicile avec ma femme et mes deux filles pendant deux mois et demi, comme tout un chacun.
Une anecdote qui résume un peu tout ça, on est en train de manger à table avec ma femme et mes deux filles, et Inès, trois ans, ma plus petite, s'arrête de manger et me dit: "Maintenant, j'ai un papa et une maman". Et là du coup, on prend conscience quand même du manque pour les enfants ou des choix contraignants qu'on leur a imposés parce qu'on se les impose à soi-même pour performer mais on les impose aussi à notre entourage, à notre famille, à nos amis qu'on délaisse un peu. Et c'est vrai que cette petite anecdote avec ma fille m'a marqué pendant le confinement.
Dans le livre, on suit votre cheminement jusqu'à cette décision d'arrêter. Quand vous l'annoncez, dans quel état êtes-vous à l'intérieur ?
Ça a été très dur de mûrir cette réflexion. Justement, ce livre m'a beaucoup aidé, je parle de thérapie mais c'était un peu ça. Je n'arrivais pas à en parler à ma femme. Je n'arrivais pas en parler à ma famille. Je n'en ai parlé à personne et c'est vraiment quelque chose que j'ai mûri tout seul, donc j'ai eu la chance de faire un choix en totale liberté, sans pression de la part de mes partenaires, de la part de mon équipe ou de ma famille.
C'est un choix par contre qui n'était pas simple parce que c'est dix ans de sa vie, parce que si certaines journées on a envie de continuer pendant dix ans, d'autres on aimerait que ça soit fini le lendemain. C'est quelque chose qui a mûri et qui, étrangement, s'est imposé à moi-même.
Martin Fourcadeà franceinfo
Quand on devient papa, on a envie aussi de transmettre à ses enfants des valeurs d'ouverture, de tolérance, d'amour de l'autre et ce n'est pas forcément les valeurs que véhicule le plus le sport de compétition. Et je pense que du coup, moi j'étais entre deux chaises peut-être sur ces deux dernières années de carrière où j'avais en quelque sorte fait le tour de mon parcours sportif mais d'un autre côté, je n'avais pas fait le tour du parcours humain que peut proposer une carrière de haut niveau. Et ces deux dernières années me permettent de finir comblé en ayant expérimenté cette notion de résilience qui est à la mode et que je n'avais pas expérimentée du tout sur mes dix premières années de carrière qui avaient été un rêve.
Vous avez un T-shirt, aujourd'hui on est à la radio, on ne le voit pas mais il est bleu blanc rouge. Ça représente quoi ces couleurs pour vous ? Le fait d'entendre La Marseillaise, ça représente quoi cette musique ?
On se rend compte quand même du poids de ça quand on est sur le podium olympique avec La Marseillaise. Pour le drapeau aussi, quand on saisit un drapeau sur une ligne d'arrivée, la fierté d'embarquer notre équipe avec nous parce qu'on est seul sur la piste, mais derrière il y a une vingtaine de mecs qui, comme nous, dédient leur vie à ce métier, à cette pratique et qui sont rarement mis en avant. Donc brandir le drapeau, c'est certes une fierté pour son pays, pour ses fans mais c'est aussi l'occasion d'embarquer cette équipe qui a la fierté de se sentir représentée et de monter avec nous ou de franchir la ligne d'arrivée avec nous.
On s'est rendu compte aussi de votre force de chef d'équipe. Vous avez su trouver les forces actives, les personnes qui sont autour de vous pour créer cette équipe.
Ça s'est imposé à moi. Les Jeux de Pyongyang ont été un vrai déclic pour moi. Quand on m'a proposé d'être porte-drapeau, j'ai refusé. J'ai dit: "Non, ça va me détourner de cet objectif sportif, la malédiction du porte-drapeau". Puis j'ai pris du recul et j'ai regardé cette équipe de France olympique et je me suis dit qu'en fait, c'était ma responsabilité. Je l'ai fait presque plus par responsabilité en me disant : "On ne va pas refiler ce fardeau à un autre, alors que c'est à toi qu'il revient". Et j'ai pris un pied fantastique dans cette expérience parce que je me suis découvert certes à embarquer du monde avec moi mais à surtout me sentir poussé par ce collectif.
Comment vous définissez-vous ?
C'est d'autant plus difficile que pendant 15 ans, je me suis défini le plus simplement du monde en étant un sportif de haut niveau ou biathlète, et où tout ce que je faisais légitimait cette position-là parce que je gagnais, donc ça me confortait en tant que sportif de haut niveau, en tant que biathlète, j'étais reconnu pour ça.
C'est vrai qu'aujourd'hui, ce n'est pas parce que j'ai écrit un livre que je me sens auteur ou que je participe à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques que je me sens organisateur. Donc je pense qu'il me faudra encore un peu de temps pour définir qui je suis et pourquoi je me lève le matin mais je suis papa, à plein temps. On va finir sur une anecdote de ma plus grande fille à qui la maîtresse a demandé ce que papa et maman faisaient. Elle a répondu : "Maman est institutrice et papa fait des blagues".
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