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"Le monde meilleur, c’est celui que j’ai créé autour de moi" : Serge Rezvani remonte le fil de ses chansons dans son nouvel album

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le peintre, auteur, compositeur et interprète, Serge Rezvani. L’auteur du "Tourbillon de la vie" de Jeanne Moreau sort ce vendredi 24 mars 2023, un album intitulé "Chansons pour Lula".
Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le peintre, auteur, compositeur et interprète, Serge Rezvani, en 2009. (ULF ANDERSEN / ULF ANDERSEN)

Serge Rezvani est peintre, écrivain, auteur, compositeur, interprète, mais aussi un auteur dramatique qui s'est adonné à la composition de chansons une grande partie de sa carrière sous le pseudo Cyrus Bassiak. Il a signé plus de 40 romans, 15 pièces de théâtre, deux recueils de poésie, plus de 50 chansons parmi lesquelles Le Tourbillon de la vie (1962), interprétée, et même immortalisée par Jeanne Moreau dans le film Jules et Jim de François Truffaut. Il y a eu aussi, J'ai la mémoire qui flanche (1963) et bien d'autres.

Un album intitulé Chansons pour Lula sort ce vendredi 24 mars 2023. C'est un album qui rend hommage à son épouse avec la participation de grands artistes comme Dominique A, Vincent Dedienne, Cali, Philippe Katerine, Jeanne Moreau et Léopoldine HH.

Franceinfo : Cet album sort au lendemain de vos 95 ans. Que ressentez-vous à la sortie de celui-ci qui salue et souligne votre travail avec des artistes incontournables de la chanson française ?

Serge Rezvani : J'arrive d'un autre paysage. J'ai été peintre très longtemps et la chanson a été mon violon d'Ingres. En vieillissant, je m'aperçois que celles-ci ne vieillissent pas et je suis très, très ému par l'interprétation de tous ces jeunes dans cet album. Vraiment, vraiment.

Vous êtes né à Téhéran, dans l'Empire perse, en 1928, d'une mère juive russe et d'un père iranien. Lui, il était magicien. Votre mère a malheureusement été touchée par un cancer du coup, elle vous a placé le temps de se soigner, mais malheureusement, elle en mourra. Trois ans plus tard, votre père vient vous récupérer. Que gardez-vous de cette enfance ?

J'ai écrit une chanson qui est ma carte d'identité, Jeanne Moreau l'a chanté en la féminisant, "Je ne suis fils de personne, je ne suis d'aucun pays. Je me réclame des hommes qui aiment la terre comme un fruit". Je maintiens. Mon identité est là. Elle est très floue, très vague et puis je suis à la croisée de plusieurs civilisations extrêmement différentes. La langue française, c'est ma patrie. J’ai adopté la langue française et les lecteurs français m'ont adopté. C'est miraculeux.

Impossible de ne pas vous demander comment vous vivez ce conflit entre l’Ukraine et la Russie aujourd’hui.

J’ai écrit plusieurs pièces dont une jouée par Maria Casarès, La Mante polaire, et puis une autre que Laurent Terzieff a joué sur la Russie justement, sur les sources du stalinisme et je pense que Staline n’est pas mort. Ce qui est très grave, c’est que le peuple russe est quand même, quoi qu’on en dise, qu’on en pense et qu’on en espère, un peuple d’esclaves. Et Vladimir Poutine en joue. Et c’est terrible. C’est sans espoir. On a l’impression, comme disait Marx, que l’Histoire bégaie. Là, je trouve qu’elle bégaie sérieusement et c’est très grave. C’est que le peuple russe n’a pas évolué.

Qu’un tyran puisse exister en Russie, ça veut dire que le peuple était prêt à le recevoir. Mais peut-être que comme le disait Dostoïevski, "le peuple aime ceux qui ont de la poigne et les mains sanglantes", hélas !

Serge Rezvani

à franceinfo

Certes, vous avez eu cette enfance, mais j’ai l’impression qu’elle vous a rendu beaucoup plus fort. Cette plume est arrivée très vite dans votre vie. Elle vous a permis d’imaginer, de créer aussi un monde meilleur ?

Le monde meilleur, c’est celui que j’ai créé autour de moi, dans ma bulle avec Lula. Pendant 50 ans, j’ai aimé la même femme. Malheureusement, elle est morte de la maladie d’Alzheimer, elle est partie sur la pointe des pieds. Sans ça, si elle était morte brutalement, je crois que je n’aurais pas pu survivre.

Vous avez écrit J'ai la mémoire qui flanche, cette chanson, c'est aussi une déclaration d'amour.

Je l'ai écrite avant qu'elle n'ait cette maladie. Malheureusement, après, j'en ai écrit une pour lui faire comprendre qu’elle était malade. Elle n'a pas compris.

Vos premières chansons ont démarré alors que vous étiez assez jeune encore, on est en 1950. C'est vrai que cette écriture-là, vous allez d'abord la faire entendre avec une guitare. Et vous faites écouter vos chansons à vos amis, parmi lesquels Jean-Louis Richard, le mari de Jeanne Moreau, c'est vraiment votre premier public.

Quand il a écouté une de mes chansons, il m’a dit : "Mais c’est formidable, c’est toi qui composes ?" Oui, mais je compose comme ça d'oreille parce que ma mère était musicienne et je lui ai dit : tu peux la chanter. Je lui ai montré les deux accords et il s'est mis à chanter tout de suite. Cette chanson, Truffaut l'a entendue et Truffaut aimait énormément mes chansons.

Ça va être un tournant parce qu'il va vous demander l'autorisation pour son film Jules et Jim d'en emprunter une. C'est le fameux Tourbillon de la vie. Que représente cette chanson pour vous ?

Je l’ai écrite très vite pour me moquer de Jeanne Moreau et de son mari qui se séparaient, qui revenaient, qui se séparaient… 

‘Le tourbillon de la vie’, c’était vraiment un cadeau que je faisais à Jeanne Moreau et son mari. Un cadeau amical mais moqueur !

Serge Rezvani

à franceinfo

Vous avez 95 ans. Qu’est-ce qui fait que vous restez toujours avec ce regard de poète à contempler le monde avec cette curiosité ?

La création et puis de m’être mis à côté. J’ai fait le pas de côté toute ma vie. Ça permet de regarder le monde d’une manière différente, un peu en biais. Et puis, ne pas recevoir toujours les informations préconçues, de s’informer soi-même, de réfléchir sur tout. Ça maintient, tout simplement, l’esprit éveillé et puis de créer surtout. Le seul problème de l’âge, c’est de s’apercevoir que l’on va mourir bientôt. On n’y a jamais cru à vrai dire, "Et puis après moi qu’est-ce qui va se passer ? L’univers va s’éteindre". Je suis très vexé de mourir. J’aimerais qu’il existe là-haut un lieu où l’on puisse se pencher à la rambarde et se dire : "Ah bon, ils en sont là, vraiment ? C’est dommage ! "

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